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INTERVIEW DE MUSTAPHA BERRI: LE MARATHONIEN CAMELEON (avril 2010)

 

Mustapha Berri le Tourangeau est une énigme, parce que depuis ses débuts, implacable, tel une force tranquille, jamais il ne "se loupe" sur un marathon, une telle régularité force le respect, alors j'ai essayé de percer le secret de Mustapha, et la première réponse vient de sa femme qui dit de lui: "c'est un caméléon" car il s'adapte à toutes les situations. Découvrez à travers cet entretien qu'il m'a accordé cet athlète, figure du marathon depuis quelques années maintenant.

marathon-info:Mustapha, tu le sais il y a un moment que l'on suit tes performances sur le site marathon-info, et ce que j'ai remarqué c'est ta régularité au niveau des résultats et ta remarquable performance lors du dernier marathon de l'espace en Guyane m'a donné envie de mieux te connaître. Donc ma première question portera sur cette course où tu n'étais pas donné favori au départ car il y avait un beau plateau avec un kenyan notamment mais aussi Vassard et Rousseau, peux-tu nous raconter un peu cette course?

M.Berri:Le marathon de l'espace à Kourou est je pense le marathon le plus dur en France, sur un parcours ordinaire en tous les cas. A 6h du matin il fait trente degrés et le taux d'humidité est de 100%. On est 130 au départ et c'est vrai que la logique du classement n'est jamais respectée, à chaque fois que des coureurs sont venus de métropole ils se sont cassés les dents, moi ça fait trois fois que je viens et à chaque fois ça s'est très bien passé. La première année je finis premier devant Jean-Michel Coutant, en 2007 je fais second derrière Vassard... Il faut savoir qu'il n'y a rien à gagner, sauf une coupe en bois et on est réinvité l'année suivante, d'ailleurs à ce propos je veux profiter de cette interview pour remercier les organisateurs du marathon de l'espace. Ce sont des lecteurs assidus du site et ils le méritent très bien. Il s'agit du club TAC (Toucan Athlétic Club de Kourou) et surtout le responsable Stéphane Piquemal. C'est un petit groupe de passionnés de course à pied qui font vivre cette activité dans ce département Français. Ce sont des gens très chaleureux, accueillants, sportifs et de très bons vivants avec qui  j'ai noué des relations d'amitié.

Pour en revenir à la question cette année, pour le vingtième anniversaire, ils avaient invité les vainqueurs des trois dernières et des trois premières éditions, et un kenyan car ils voulaient battre le record de l'épreuve, c'est un kenyan qui est à Aubagne à la légion étrangère, car il y a une base de la légion là-bas, mais malheureusement pour lui ça s'est pas bien passé, dès le 25ième km il a eu des problèmes gastriques, car il s'agissait de conditions qu'il n'avait connu ni chez lui ni dans les divers marathons internationaux auxquels il avait participé. Il venait avec un record à 2h14, moi un record de 2h22 qui date, Vincent Vassard et Vincent Rousseau étaient présents aussi avec de belles références autour de 2h21/22, mais finalement il n'y a pas de logique là-bas, car les conditions météorologiques font qu'il faut être très très prudent et savoir bien gérer ce type de course.

Alors justement comment l'as-tu gérée, tu es parti prudemment visiblement

Oui très très prudemment, tranquillement, et quand on est parti au semi en 1h18, je me doutais que le record ne serait jamais battu par ce kenyan, on était encore tous regroupés, et ça s'est décanté à partir du 25ième kilomètre, et je me suis retrouvé seul à partir du 30/31ième kilomètre, c'est toujours au même endroit que j'accélère car il y a du monde, les gens encouragent, j'ai pris 10, 20, 50m et finalement je suis parti et ensuite je n'attendais que l'arrivée avec impatience!

Sur tes trois participations à l'épreuve, as-tu fait à chaque fois le même type de course où est-ce que tu t'adaptes à chaque fois à tes adversaires?

Je fais toujours le même type de course car je suis toujours très prudent dans les marathons que je fais, je fais toujours en dessous avec l'envie de les finir et de les finir bien surtout, et à chaque fois je pars en dessous. C'est vers les dix derniers kilomètres que je produis mon effort et essayant de garder toujours un peu de réserves pour bien terminer mes courses.

Et comment expliques-tu que tu arrives toujours à tirer ton épingle du jeu dans ces conditions difficiles?Tu penses que tu t'adaptes mieux aux conditions?

Je pense que oui, ma femme m'appelle le caméléon, comme ça elle a l'impression d'être à chaque fois avec un homme différent (rires). Déjà en venant du Maroc où il faisait trente degrés à Clermont Ferrand pour mes études universitaires où il faisait -5° je me suis adapté, après je suis parti aux états-unis dans le cadre de mon travail dans un endroit où il faisait de -15° à -30° et là aussi je me suis adapté car il fallait courir quand même.. Donc je pense qu'en effet je m'adapte assez bien et ce n'est pas vraiment un climat qui m'a géné.

Et alors ce qui est remarquable quand on regarde tes perfs de marathonien sur ta fiche, c'est qu'on a l'impression que jamais tu ne te plantes, que tu arrives toujours bien préparé, toujours prêt le jour J, et que tu n'as jamais de grosses défaillances. Je me trompe?

Non c'est vrai, je ne me suis jamais planté sur marathon, je crois que j'en ai fait entre 30 et 32, et je n'en ai abandonné qu'un seul, et c'est la seule fois où je me suis trop pris au sérieux, je me prenais la tête, j'étais obnubilé par la course, et c'est le seul jour où j'ai abandonné, c'était au marathon de Reims en 2000. Depuis ce jour, je me suis dit, c'est fini, je fais de la course à pied, mais il ne faut pas que ça me prenne trop la tête, que je sois obnubilé au point d'arriver à saturation. Et sincèrement depuis cette date là je n'ai pas de plan d'entraînement!! Je fais parti du club de l'A3 Tours, je fais les cross, je fais les interclubs, les championnats, mais je n'ai pas d'entraîneur ni de plan. Je m'entraîne par rapport à mes acquis, tout ce que j'ai appris par mes rares entraîneurs que j'ai eu car j'ai commencé très tard l'athlétisme, du coup je m'entraîne et je cours à la sensation, et  le marathon c'est comme un animal sauvage que j'ai su apprivoiser, et je sais comment gérer cette course et ça me convient très bien... Du coup ben c'est vrai que je n'en ai abandonné qu'un seul, alors bien sur il y a l'entraînement car je m'entraîne sérieusement malgré tout et la connaissance de la course, et à Kourou j'ai réussi à apprivoiser la course et le climat et à chaque fois en découpant la course en plusieurs morceaux: je me dis bon ici on en est là, maintenant je vais jusqu'à tel endroit, ça y est c'est fait, etc... Donc un entraînement sérieux mais ludique, j'insiste sur ce dernier point.

Justement quand tu dis que tu n'as pas de plan que veux-tu dire par là? Comment t'entraînes-tu? Te prépares-tu quand même d'une manière spéciale pour les marathons?

Non le dernier plan que j'ai eu je te dis c'était en 2000 à Reims. Après ça ne veut pas dire que je ne prépare pas les épreuves, pour les cross j'ai une préparation cross mais c'est instinctif, je sais que je dois faire des côtes, qu'il faut faire un travail spécifique de court, un peu de long, et voilà.. Et quand il s'agit de préparer les marathons j'essaie de faire un peu plus les week-end car dans la semaine je ne peux pas en raison de mon travail, alors j'essaie de faire deux heures le samedi et deux heures le dimanche pendant ces périodes là, mais ce que je voulais dire c'est que je n'ai pas de plan pré-défini que je suis à la lettre. Par exemple demain je ne peux pas te dire ce que je vais faire.. Bon sauf qu'en ce moment je suis en récupération suite à mon marathon..

Donc le secret de ta réussite c'est de te faire plaisir avant tout !!

Exactement, me faire plaisir et il ne faut pas que ça empiète ni sur ma vie de famille, ni sur ma vie professionnelle. Je suis marié, j'ai deux petits garçons Jérémy et Pierre et j'adore rentrer le soir du travail et être à la maison, je cours entre midi et une heure car j'ai la chance de pouvoir le faire à mon travail, et le samedi et le dimanche c'est là où je cours le plus, surtout le samedi où je fais plus de 25km, mais c'est bien entendu en fonction des objectifs, et toujours avec du plaisir, c'est ce que je dis à mes enfants "faites vous plaisir". Les contraintes d'un entraînement avec des 300, des 400 ou des 1000m moi c'est fini je ne le fais plus, je connais mes parcours, je sais quand est-ce que je dois accélérer. Par exemple je vais me dire tiens aujourd'hui je vais faire huit fois 3 minutes, et alors si je suis bien je vais accélérer énormément, si je suis pas bien je les fais à ma façon, je vais pas me dire faut que je fasse des 400 en 1m10 absolument, ça c'est fini, car je pense que la contrainte n'engendre que du stress... En plus depuis que je fais comme ça je ne suis plus blessé, ma dernière blessure date aussi de 2000! Et cela contribue à faire que j'arrive à maintenir un certain niveau. Je vois dans mon entourage ou dans mon club des gars qui se blessent pendant deux ou trois mois, puis après ils reviennent et ils se plantent encore, et ainsi de suite, alors que moi je touche du bois, mais je n'ai jamais eu de gros arrêts.

Tu t'entraînes beaucoup seul ou en groupe?

Tout le temps tout seul, même si parfois le samedi ou le dimanche je peux courir avec des copains de la commune où j'habite, des amis marathoniens. Mais en semaine je fais lundi, mercredi vendredi et là je suis tout seul.

J'aimerai que tu me parles un petit peu de toi, quel a été ton parcours?

Et bien je suis venu en France après mon bac, pour faire des études universitaires en fac de sciences, à l'université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, jusqu'à l'obtention d'un doctorat, doctorat qui m'a permis d'aller aux états-unis pendant trois ans pour faire ce que l'on appelle un "post-doc", à l'université de Madison dans le wisconsin, et c'est là où j'ai connu les joies du marathon, puisque en 1996 j'ai fait le marathon de Chicago. Je suis resté là-bas de 1995 à 1998, avant de revenir en France où ma femme était embauchée à l'INRA à Tours, et quelques années plus tard j'ai obtenu un poste à l'INRA également où nous travaillons maintenant tous les deux comme ingénieurs chercheurs.

Donc ce sont les études qui t'ont amené en France

Oui exactement, au départ je devais faire mes études et puis rentrer, mais le hasard à fait que j'ai connu ma femme pendant mes études, puis une fois aux états-unis j'avais le choix, soit de rester là-bas, ou de rentrer au Maroc ou en France, et comme j'ai épousé une auvergnate on est rentré en France. (rires)

Pour ce qui est de la course à pied, à quel âge as-tu débuté?

En fait j'ai commencé en 1991, j'avais donc 28 ans. Donc j'ai débuté très tard, avant je faisais du foot, et puis on avait des entraînements trois fois par semaine, et je rentrais un peu tard le soir car il y avait tout le temps quelqu'un pour dire on va boire un dernier verre, ou manger un petit cassoulet, et du coup je rentrais tard et Cécile qui n'était pas encore ma femme à l'époque m'attendait, et en Noël 1991, elle m'a offert un collant et des chaussures, mes premières Pégasus, et elle m'a dit "j'aimerai bien que tu arrêtes le foot, mais continues à faire du sport, pourquoi pas la course à pied" et voilà comment tout cela est parti! Donc j'ai fait trois ans avec l'ASPTT Clermont, et après je suis allé aux Etats-Unis dans un autre club, je suis revenu et je me suis engagé avec l'A3 Tours depuis maintenant 1998.

As-tu compris assez vite que tu avais des dispositions pour la course à pied?

Oui assez vite, j'ai toujours fait du sport dans ma vie alors bon les premiers footing avec les copains j'arrivais à tenir et puis les premières courses sont arrivées, et quand j'ai fait mon premier marathon je me suis dit "ça y est c'est ça que j'aime" et après c'est parti, je peux vraiment dire que c'est la course que j'aime le plus. Je pense que c'est l'essence de la course à pied, quand on arrive à bien le gérer et qu'on le passe bien c'est un plaisir énorme. 

Et ton premier marathon ça s'était passé comment?

Le premier j'étais même pas préparé, c'est un copain américain que j'ai rencontré en faisant un footing, au mois d'avril 1995, et il n'arrêtait pas de me dire il faut qu'on fasse le marathon de Chicago, et moi je lui répondais "non jamais les gens qui font du marathon ce sont des fous", et jamais je ne ferai cela. Et puis bon il nous à inscrit à ce marathon au mois d'octobre et j'ai été obligé d'y aller! Et puis voilà on s'est retrouvé à Chicago au milieu de 30000 personnes et c'était fantastique, c'est comme cela que j'ai atterri sur marathon, j'ai donc fait Chicago en 1996, puis en 1997 et en 1998 je suis parti des Etats-Unis sinon je l'aurai refait car c'est une épreuve magnifique, il faut voir le monde fou qu'il y a dans les rues de Chicago ce jour là, c'est énorme. 

Et le marathon de New-York tu l'as fait?

Et bien non, vois-tu ça ne m'a jamais attiré, je suis allé à New-York 4 ou 5 jours pour visiter et je n'irai pas ça ne me dit rien. 

Et maintenant comment fais-tu? tu programmes les marathons que tu vas faire longtemps à l'avance?

En début de saison je commence par les cross, ce sont des fondamentaux et des obligations vis à vis de mon club, on ne peut pas prendre une licence sans rendre quelque chose au club, ce n'est pas que je rends service mais pour moi ça fait parti des obligations, donc je fais d'abord les cross, après s'il y a un marathon au printemps pourquoi pas mais ce n'est pas une obligation, ensuite il y a les interclubs et pour moi c'est aussi une obligation, et le marathon de l'automne, jusqu'à maintenant j'ai fait souvent La Rochelle, mais disons que j'essaie de programmer un ou deux marathons, un au printemps et un à l'automne, cette année j'ai reçu une invitation pour aller à Kourou, j'y suis allé, et cette année je pense que je vais me faire un petit week-end avec ma femme à Berlin au mois de septembre. Généralement je fais deux marathons, maximum trois mais c'est assez rare. Pour moi deux ça suffit largement, c'est pour ça que je ne gagnerai pas le challenge marathon-info! (rires)

Pourquoi tu ne participes jamais aux championnats de France, ça ne te fait pas envie?

En fait c'est parce que ces dernières années c'était au mois de mai, que ce soit à Lens ou à Sénart, et moi au mois de mai je participe aux interclubs et le club préfère me voir aux interclubs qu'aux France de marathon. Si c'était au mois d'octobre ou Novembre je pense que je les ferais.

Mais cette année ça va être au mois de Novembre

Oui à priori c'est vrai que c'est Nice-Cannes cette année, mais bon je pense que j'irai plus à Berlin, enfin on verra, il peut y avoir un souci ou un empêchement qui m'oblige à changer et dans ce cas pourquoi pas faire les championnats de France oui, je ne dis pas non, parce que cette fois ils sont en fin d'année. 

Trouves-tu depuis que tu fais des marathons qu'il y a une évolution au niveau des coureurs ou de l'organisation de ces épreuves, de l'ambiance générale?

Pour ce qui est de l'ambiance c'est la même, et sur les marathons c'est toujours une très bonne ambiance, il y a de la courtoisie, de la camaraderie, et c'est ce que l'on trouve en course à pied en général. Après c'est vrai que ça se professionnalise de plus en plus au niveau des organisations, mais on va aller je pense vers ce sens, avec peut-être un peu moins de marathons mais de plus en plus professionnels, car on voit pas mal d'organisations maintenant qui vont faire deux ou trois éditions et qui disparaissent ensuite. Quand on voit l'organisation des marathons comme Paris ou La Rochelle, là oui ce sont vraiment des pros et je crois que l'on va dans ce sens, vers une organisation de grandes épreuves de plus en plus professionnelles. Mais c'est sur que l'on sent un engouement pour la course à pied ces dernières années, je pense que l'on parle de plus en plus de l'intérêt et du bien être que peut amener une dépense physique, les gens ont envie de rester jeune, de maigrir, et donc de plus en plus de personnes courent dans cette optique là. 

En même temps on a l'impression que le niveau général baisse, que les gens veulent se faire plaisir avant de faire des temps

Je pense que sur le peloton de marathoniens, l'élitisme reste, il y des gens qui s'entraînent dans des clubs, qui s'entraînent très sérieusement, et qui ont envie de briller et faire des temps, mais ça ne concerne qu'une faible partie du peloton, mais le reste du peloton ce sont des gens qui s'entraînent occasionnellement et pour lesquels le challenge c'est avant tout de finir, et c'est vrai que pour la majorité des gens c'est le plaisir de courir, le plaisir de l'effort, et le plaisir d'être avec les gens aussi, au lieu de courir tout seul on court avec d'autres personnes et c'est une communion en fait, c'est l'effet de groupe. 

Et toi quand tu prends le départ d'une course quel est ton objectif? Te considères-tu comme un compétiteur?

A mon avis je ne suis pas vraiment un compétiteur, le copain américain dont je t'ai parlé me disait il y a une différence entre les coureurs et les compétiteurs, lui était compétiteur et moi coureur, quand je m'aligne sur une course ce n'est jamais pour battre les autres mais pour me dépasser moi-même, si je me dépasse en battant mon record je suis ravi, même si ça n'arrive plus maintenant hein car je suis plutôt sur le déclin, mais c'est le dépassement de soi qui compte pour moi, les autres dans la course ce sont des partenaires. Alors c'est sur que le dépassement de soi se fait par rapport à la distance et par rapport aux autres, quand on se dépasse soi-même on le fait pas tout seul, il y a l'épreuve et les gens qui sont autour. 

Et tu te fixes des objectifs kilométriques au départ d'une course?

C'est de faire le mieux possible, de ne pas à avoir à me faire des reproches à l'arrivée et de me dire "j'aurai du ou j'aurai pu", et généralement quand je me dépasse, j'arrive à gagner certains marathons ou d'être sur le podium en tant que vétéran comme à La Rochelle par exemple, et je pense que si les conditions sont là et qu'on donne le meilleur de soi on arrive toujours à la performance, mais c'est la cerise sur le gâteau. Le dépassement de soi, finir un marathon, être capable de courir c'est le gâteau, et la performance c'est juste la cerise. Quand on a le gâteau c'est déjà pas mal, si on a pas le cerise ce n'est pas grave!

Mais sur la façon de gérer ta course, au départ tu te dis je vais faire tel temps au kilomètre ou est-ce que tu fais ta course aux sensations?

Je fais cela à la sensation, surtout sur les marathons. Mais je te dirai que souvent je ne mets même pas le chronomètre, de toute façon y'a toujours quelqu'un qui me donne le temps. J'ai une photo du marathon de Kourou, et mes enfants m'ont fait la remarque suivante: "tout le monde a la main sur sa poignée sauf toi" et je leur ai répondu ça sert à quoi! Du coup le chrono je ne l'enclenche jamais, de toute façon sur le circuit tu as toujours des gens qui te disent on est passé en tel temps, et bon alors après je me dis "bon là faut accélèrer un peu" ou alors "ça va je vais rester à cette allure", mais c'est une vérité je n'ai pas de plan d'entraînement et je n'enclenche pas mon chrono dans une course.

J'ai remarqué au fil des diverses interviews que j'ai faites que les gens qui durent sont souvent ceux qui agissent de la sorte, sans rentrer trop dans des schémas de plans d'entraînement contraignants et avec le but de prendre du plaisir, Didier Lusso me disait par exemple un peu la même chose que toi.

Oui exactement mais attention Pascal, avec de l'entraînement, ça ne veut pas dire que l'on ne s'entraîne pas hein! Le samedi quand je pars faire 25 ou 30km je ne rigole pas, et le lendemain je remets ça, là j'enfile deux grosses journées l'une après l'autre, je pars le matin à 7h et je reviens à 9h, quand je pars mes enfants et ma femme dorment encore, et quand je reviens je passe à la boulangerie prendre du pain et on déjeune ensemble, et comme ça je suis avec eux la journée. Mais donc attention, on s'entraîne, les vétérans maintenant s'entraînent sérieusement, je vois quand je fais la saison de cross mon but est d'atteindre les championnats de France, et je rencontre des gens qui s'entraînent très sérieusement, regarde le niveau des vétérans maintenant que ce soit en cross ou sur 10km, c'est impressionnant. L'année dernière à Aix les bains j'ai fait 15ième aux championnats de France, devant tu as encore des vétérans qui sont encore capables de courir le 10km en 30minutes! Vraiment le niveau est très élevé et ce sont encore des gens que l'on ne voit pas encore sur marathon mais ils vont venir!

le cross c'est un effort que tu apprécies? car c'est quand même totalement différent du marathon

J'adore! En plus mes enfants ont commencé depuis deux ans à faire de l'athlé et ils font les cross, alors maintenant mon pauvre Pascal, je suis obligé de donner l'exemple!! (rires) Je pense qu'ils m'ont toujours vu faire des cross et ils adorent ça eux aussi.

Est-ce qu'il t'arrive de participer à des trails?

Non, mais tu sais dans l'année je fais très peu de courses, et de plus en plus d'ailleurs, mes enfants me disent d'ailleurs que le nombre de mes coupes n'augmente plus! Je fais très peu de courses dans l'année, je sélectionne quelques courses en fonction de l'amitié que j'ai pour les organisateurs, et des obligations par rapport à mon club, mais je ne suis pas quelqu'un qui court tous les dimanches loin de là.

Et tu n'as jamais été tenté non plus de te lancer  sur la distance supérieure, c'est à dire le 100km?

Euh.... Ma femme ne veut pas... je voudrais bien mais elle ne veut pas (rires). Elle voit que déjà pour le marathon c'est quand même un investissement, alors elle n'a pas envie que je m'engage là dedans. Moi j'avais fait une fois une course à la Réunion qui s'appelle le tram-train, qui fait 47km et j'ai fait deuxième et ça m'avait beaucoup plus, c'est une course en montagne avec des dénivelés à certains endroits très importants et j'ai beaucoup aimé, mais pour l'instant il y a un véto (rires), mais je ne désespère pas!

Je comprends à travers tes propos que ta vie de famille passe avant toute chose

Ah oui oui oui, il ne faut pas que ta passion qui est aussi un loisir piétine sur tes plaisirs, si ton loisir piétine sur tes plaisirs je pense que l'on va droit dans le mur, il faut faire la part des choses et trouver un équilibre, et quand on trouve un équilibre à mon avis la performance est là! Ce n'est pas parce que l'on est obnubilé à courir comme un malade, jusqu'à aller à la saturation que le chrono sera là. J'ai des copains à qui je demande s'ils courent qui me disent "non je suis blessé, je suis allé faire des 200 au stade".. Voilà ce que fait souvent la recherche à tout prix de la performance, alors  je pense que ce n'est pas parce que l'on court de façon ludique que la performance n'est pas là. Et puis en plus la performance ce n'est pas une valeur absolue, c'est une valeur relative, et il faut à mon sens la mettre en adéquation avec sa vie de famille et sa vie professionnelle, ses loisirs, ses plaisirs, il faut la regarder dans sa globalité: je suis content de ma performance sachant que je fais plein de choses à côté, que j'ai d'autres centres d'intérêt, je fais d'autres choses.

Tu parles avec sagesse comme tu pratiques le marathon!

Et bien c'est vrai sans doute et je dois te dire que je prends énormément de plaisir à faire mes marathons et cela de bout en bout, parce que même à la fin quand c'est dur j'arrive encore à avoir des sensations, je suis encore conscient, je suis dans la course. Oui c'est très difficile la fin d'un marathon hein, ce n'est pas ce que je veux dire, mais à la fin du marathon je ne dis pas "jamais ça" mais "vivement le prochain". Et tous mes marathons je les fais en famille, ma femme et mes enfants me suivent, et d'ailleurs l'année où j'ai abandonné je suis parti tout seul, ce qui était une erreur car il faut faire participer tout le monde, et quand je sais que ma femme et mes enfants m'attendent à l'arrivée, j'ai pas le droit à l'erreur! Il faut que j'arrive et que j'arrive frais car il y a la photo (rires).

Une dernière question, est-ce que tu te vois encore pratiquer le marathon très longtemps?

J'ai une visite médicale tous les ans et la dernière fois je dis à mon docteur: "nous on se voit pas vieillir et je continue à pratiquer le marathon, c'est vous qui devez à moment donner sonner l'alarme et me dire qu'il faut à moment donner arrêter, ne pas aller au delà de certaines limites", et bon c'est sur je fais attention, je fais de temps en temps des tests d'effort pour voir où j'en suis, s'il n'y a pas de souci. Il m'a dit "tu te surveilles et tu continues à te faire plaisir, tant que tu as du plaisir et que tu arrives à gérer un ou deux marathons dans l'année continue". Mais de toute façon je crois que je continuerai la course à pied sachant que mes enfants en font, il y a deux ans je me disais que j'allais lever le pied, je me demandais si j'allais encore reprendre une licence car le fait de prendre une licence fait que je suis sérieux, mais bon je vais continuer à les accompagner sur les courses et moi je vais continuer à me faire plaisir. Le jour où je finirai un marathon complètement cassé, où je mettrai six mois à récupérer, ou que je n'aurai plus de plaisir, alors là en effet je me dirai on arrête c'est fini. Je continuerai à courir quand même, mais le marathon demande quand même beaucoup d'investissement, alors je m'arrêterai pas complètement et puis je crois que je m'investirai peut-être dans l'entraînement pour entraîner des jeunes ou conseiller des adultes sur marathon par exemple.

C'est quelque chose qui te plairait justement d'entraîner, transmettre ton savoir?

Oui tout à fait, je le fais déjà un peu avec des copain qui m'appellent quand ils préparent un marathon qu'il veulent faire en 3h30, ou descendre en dessous de trois heures, je leur donne quelques conseils, je le fais de façon officieuse comme ça. Et prendre un groupe d'athlète ne me déplairait pas, et puis ce serait une façon de rendre au club ce qu'il m'a donné, ça fait 12 ans que je suis à l'A3 Tours et ma foi j'aimerais bien m'impliquer un petit peu plus. J'aime beaucoup le milieu de l'athlétisme qui véhicule beaucoup de valeurs contrairement au football.