Interview de Patricia Lossouarn

Interview de Patricia Lossouarn (septembre 2009)

Meilleure de nos représentante au mondiaux de Berlin, Patricia Lossouarn a connu une progression intéressante depuis son arrivée sur marathon, et nous avons souhaité réaliser son portrait pour vous permettre de mieux la connaître, l'occasion aussi de faire le point sur les résultats de l'équipe de France de marathon à Berlin sujet à beaucoup de critiques, alors justifiées ou pas ces critiques? A vous de juger, mais en connaissance de cause!! je vous propose en tous les cas de découvrir Patricia, une fille à la trajectoire tourmentée mais qui au final nous donne une bonne leçon de vie, et ma foi n'est-ce pas le principal?

marathoninfo: Si ta sélection aux derniers mondiaux de Berlin a permis de te mettre en avant, tu es malgré tout assez peu connue par le "grand public", alors justement je serai curieux de savoir d'où tu viens, où tu vis, bref en savoir un peu plus sur toi

Patricia Lossouarn: Depuis une dizaine d'années je vis dans les Yvelines, pour des motifs professionnels, en fait je travaille dans la police, je travaille à st Cyr l'école depuis à peu près un an et demie, mais j'ai pas mal bourlingué dans les Yvelines. Sinon je suis né en Bretagne, mais je suis une fausse bretonne car ma maman est du sud de la France, de Salon de Provence, et on est vite partis s'installer dans le sud, et j'ai vécu la moitié de ma vie du côté de Lunel, une ville qui se situe en Nîmes et Montpellier. Mais bon j'ai pas mal bourlingué, sinon j'ai commencé l'athlétisme à quinze ans, au bout de quelques mois je suis rentré en sport études à fond Romeu, à 17 ans je me suis retrouvée aux championnats du Monde junior de cross country, j'ai eu deux bonnes années en junior puis ensuite j'ai plus trop rien fait pendant une quinzaine d'années, on va dire que j'ai vivoté en athlétisme, je ne m'entraînais pas du tout de façon régulière, beaucoup de choses dans ma vie ont fait que je me suis détournée de l'athlé, et j'ai aussi touché à beaucoup d'autres sports. Je faisais encore quelques compets surtout pour aider mon club de l'époque aux inter-clubs, mais sinon très franchement ce n'était plus mon objectif, ce n'était plus ma priorité, et j'aimais bien d'autres choses comme la danse, le théâtre, et à côté de cela il y avait mes études et le boulot pour gagner ma vie, alors placer le haut niveau là-dedans c'est pas facile, alors plutôt que de vivoter comme ça j'ai préféré faire autre chose et bien m'éclater. Je ne regrette pas car ça m'a permis de rencontrer des gens très intéressants et de vivre d'autres expériences, alors c'est sur que je me suis réveillée sur le tard pour refaire du haut niveau, mais je pense que d'avoir connu d'autres choses que l'athlétisme j'en suis ressorti plus riche, et tu relativises beaucoup de choses après.

Et au niveau de ta vie familiale, as-tu des enfants?

J'ai une petite fille, je fais partie des nombreuses femmes divorcées, j'ai eu ma petite fille à 28 ans, j'ai divorcé à 30 ans, et je me suis retrouvée seule avec ma petite fille, donc ça n'a pas été très facile. Pour faire du sport c'est toute une organisation dans ces cas là, en fait tu t'entretiens plus qu'autre chose car tu veux que ton enfant il ait une vie "normale" mais c'est une course perpétuelle contre la montre. 

Et alors comment as-tu réussi à retrouver l'envie de t'entraîner sérieusement?

En fait en  j'ai eu un gros déclic en 2006, de 2000 à 2004 dans la police j'avais un aménagement car j'avais réussi à avoir le niveau nationale 2 même en faisant comme je pouvais, donc ça me permettait d'avoir 70 jours dans l'année pour faire des entraînements, mais très honnêtement ces 70 jours je les utilisais pas pour m'entraîner, c'était plus pour m'occuper de ma gamine. En 2005 j'ai eu un gros creux pendant lequel j'ai complètement arrêté, et pendant l'année 2006 j'ai eu comme un déclic, je me suis dit "mais attend je vais pas finir comme ça!", j'ai des choses à faire, je dois pas m'endormir comme ça car c'est pas l'image que je veux donner à ma petite fille, je préfère donner l'image d'une maman qui se bat, qui veut faire quelque chose de sa vie, donc je voyais bien que dans ma vie professionnelle j'étais un peu bridée, quand tu cours à droite ou à gauche dans ta vie familiale, tu peux pas t'investir à fond professionnellement parlant, donc j'ai eu envie de recommencer quelque chose. En 2005 et 2006 j'avais perdu tous mes avantages, et je me suis préparée très longuement pour le championnat d'Europe police qui se déroulait à Istanbul, et j'ai fait le marathon en 2h54, et ça a commencé comme ça. 

Tu avais fait déjà un marathon à Paris en 2006, c'était le premier que tu faisais?

Celui là je l'avais fait avec deux mois d'entraînement dans les pattes. Mais le premier c'était en 1999 suite à un pari avec mon ex-mari, ça m'a pris au mois de janvier, il m'avait lancé une boutade du style que j'étais qu'une mamie grabataire (rires), et en même temps je lisais sur une revue l'affiche du marathon de Paris, alors je lui ai dit dans trois mois je fais le marathon de Paris. A l'époque je connaissais bien Jean-jacques Renier qui était un des responsable du hors stade, et il m'a fait un plan d'entraînement en me traitant de folle, et finalement j'ai fait 2h51. C'était ma première expérience en fait. J'en avait fait un autre à Athènes en 2002 pour les championnats d'Europe police mais j'étais au creux de la vague à ce moment là, j'avais du mettre 3h06, et ça a donc repris à Istanbul, l'année d'après j'ai fait New-York, mais ensuite j'ai été opérée d'une hernie discale, et je m'étais dit qu'en 2009 quoi qu'il advienne je ferai un marathon, et voilà...

Entre ton marathon de Paris de 2006 ou tu as mis 3h01, et celui de 2009 ou tu as fait 2h38, tu as gagné 23 minutes en trois ans, comment as-tu réussi cette progression?

C'est simplement l'entraînement, car les 3h02 je les ai fait en ayant pratiquement arrêté la course à pied, j'avais repris l'entraînement au mois de janvier, mais quand j'ai dit reprendre l'entraînement c'est vraiment remettre les chaussures et commencer à faire des diagonales, j'avais pas de VMA, rien.. Donc 3h02 dans ces conditions j'étais contente (ceci dit je suis toujours contente quand je fais un marathon rires). Donc ma progression est due essentiellement à l'entraînement, je suis passé du simple au double, je faisais 5 ou 6  entraînements par semaines, là j'en suis entre 10 et 12 par semaine... La deuxième chose c'est que maintenant je suis bien entouré dans ma vie, je ne suis plus toute seule à la maison depuis un an et demie, c'est important, et puis dans mon boulot j'ai un patron très compréhensif, ce qui fait que quand je vais m'entraîner entre midi et deux, si je dépasse d'un quart d'heure il va pas chipoter, donc j'ai davantage de temps pour m'entraîner. Depuis début 2008 il y a vraiment un travail régulier, continue, un travail de préparation physique que je ne faisais pas jusqu'à présent, j'ai beaucoup travaillé ce qui est côtes, vitesses, paradoxalement pour préparer un marathon. Mais bon voilà c'est de passer de simple au double au niveau de l'entraînement et de le suivre de façon draconienne qui m'a amené là. 

Et c'est quoi qui t'a donné envie de passer du simple au double justement? 

En fait beaucoup de choses dans ma vie personnelle m'ont amené à ça. Pour résumer en junior je suis montée très vite, en deux ans j'étais aux mondiaux, j'ai eu la chance de connaître le haut niveau si tant est qu'on peut appeler cela du haut niveau, et après ça a été la dégringolade, je me suis vraiment éparpillée, et là je me suis dit si tu dois faire quelque chose c'est maintenant, car après ça va être trop tard, je ne voulais pas avoir de regrets dans ma vie. Et puis j'en reviens à ma petite fille, j'avais envie de lui montrer que je pouvais réussir quelque chose, tout simplement, lui montrer que sa maman était capable de faire quelque chose de A jusqu'à Z, et de tenir. Et du coup ça a eu beaucoup d'incidence dans ma vie, d'avoir réussi à faire ce que je voulais faire, d'aller le plus loin possible, et j'espère encore aller plus loin, ça m'a permis de reprendre des études que j'avais pas terminé à la fac de psycho, ça a rebondi sur toute ma vie. Le marathon c'est quelque chose de difficile, c'est le fruit d'un long travail, et ça m'a aidé dans ma vie de tous les jours, j'ai appris à ne pas vivoter, à ne pas partir à droite ou à gauche en fonction des passions qui pouvaient être les miennes, et en l'espace de deux ans j'ai appris à vraiment me focaliser sur quelques chose, et à rester sur des rails. 

Question un peu philosophique, est-ce les changements dans ta vie qui ont provoqué le déclic, ou est-ce le fait de te focaliser sur le marathon qui a débloquer d'autres choses dans ta vie, ou est-ce lié? Autrement dit quel a été le premier déclencheur? 

Quand je dis que je vivotais je ne parle pas que de sport, dans ma vie personnelle j'avais aussi connu beaucoup d'échecs. Et à moment donné je me suis dit que je devais me forcer à foncer et faire quelque chose, et effectivement, le marathon est une discipline tellement exigeante au quotidien, ça demande de l'abnégation, une bonne hygiène de vie, un travail de fourmi, et c'est vrai qu'il n'y a rien de mieux que la course à pied, qui est une discipline exigeante pour suivre un chemin. Par la course à pied, qui m'a recentré sur moi-même, j'ai pu également recentrer ma vie. Par exemple je suis quelqu'un qui aime bien faire plaisir aux gens, mais là maintenant, c'est pas que je suis devenue égoïste, mais disons que maintenant je me dis de telle heure à telle heure, Patricia tu dois faire ça et tu te trouves pas des excuses, et donc c'est parti de ce besoin de gestion plus rigoureuse, et  ça a rejailli ensuite sur le reste de ma vie en effet. 

Pour en revenir au marathon de Paris du printemps dernier ou tu réalises 2h38, est-ce qu'au départ tu t'étais fixé cet objectif?

Il faut que je parle de ce qu'il s'est passé avant le marathon de Paris, en 2008 je m'étais dit que je devais travailler ma vitesse, et donc pas faire de marathon, car j'étais persuadé qu'il n'y aurait que ça qui me ferait progresser sur marathon, et donc tout s'est déroulé ainsi, beaucoup de prépa physique, des côtes, du travail de VMA que je faisais pas systématiquement, et je suis passé de 35'50 à 35', sur semi de 1h18 à 1h16, donc ce travail a commencé à porter ses fruits, et en novembre 2008 j'ai du être opérée d'une hernie discale cervicale, j'avais eu un accident de voiture l'année précédente, et suite à l'opération j'ai eu de très graves complications, j'ai passé trois semaines à l'hôpital au lieu des quelques jours prévus, et ça a été un long parcours du combattant, j'étais paralysée du haut de la joue jusqu'à mi-cuisse sur mon côté droit. A la sortie de l'hôpital, j'étais vraiment au plus mal, j'ai compris que j'ai failli devenir handicapée, et là ça m'a fait comprendre que dans la vie il ne faut pas perdre de temps, ça m'a donné encore plus faim et envie de mordre dans la vie. De fin novembre à fin décembre j'ai repris petit à petit, d'abord en marchant, et je me suis remise à courir fin décembre, par des footing de 40min en trottinant, et tous les jours je faisais de la préparation physique (abdos, dorsaux...) comme une folle, je faisais des trucs, par exemple la chaise avec des dictionnaires sur les cuisses, pire que Rambo (rires) à tel point que ma fille me demandait si j'allais bien!!  l'objectif c'était vraiment de me  remuscler car il fallait que je fasse quelque chose. C'est fin janvier que j'ai décidé de faire le marathon de Paris, mon entraîneur m'a dit que j'étais folle, mais je voulais le faire, il a accepté à condition que je mette le clignotant pendant la course si j'avais la moindre douleur au niveau du dos. Il y avait un autre paramètre c'est que mon conjoint était dans le collectif marathon de l'équipe de France, et qu'il avait commencé à faire des stages avec les meilleurs coureurs sur route français, il a parlé de moi à la fédé en leur disant que je courrais pas trop mal et qu'ils devraient me prendre pour voir ce que je valais. La fédé était pas chaude du tout au départ, mais je me suis retrouvé une dizaine de jours en stage avec eux au Portugal, et j'ai pu bénéficier des entraînements de la fédé pendant ce stage. Ca m'a permis de voir que j'étais à peu près du même niveau que les autres filles, et comme les minimas étaient à 2h37 j'ai décidé de tenter ma chance à fond. Ce stage m'a rassuré sur mes capacités en fait, et m'a donné envie de m'attaquer aux minimas. Donc je me suis trouvé un ami de mon club pour faire le lièvre, et on est parti sur les bases de 2h37, mais j'avais que 4 mois d'entraînement dans les jambes, je manquais un peu de caisse, et j'ai fait que 2h38. Mais c'était le début d'une belle aventure. 

Tu pensais avoir une chance d'être sélectionnée après Paris? 

Après la course Maryse le Gallo m'a dit qu'ils allaient discuter pour qu'une équipe féminine soit engagée, j'y croyais qu'à 50% car je savais bien que le niveau que l'on avait n'était pas génial pour lutter contre les meilleures mondiales. Le côté positif d'envoyer une équipe c'est de donner aux autres filles l'envie de se mettre sur marathon en voyant qu'il y a une équipe sélectionnée, et inciter d'autres filles à se bouger avec l'espoir de faire partie de l'équipe de France, en sachant que plus de filles se bougeront et meilleur le niveau sera. C'est sur que 2h35/38 c'est pas génial, mais si des filles viennent en sachant qu'il y a de la concurrence elles vont peut-être s'entraîner plus dur pour avoir un meilleur niveau, et c'est tout ce que j'espère. Pour nous ça nous a permis d'acquérir une certaine expérience, et on a bien vu qu'un championnat du monde c'est complètement différent d'une course normale, il y a peu de densité, la logistique est différente au niveau des ravitos par exemple, bref beaucoup de paramètres qui entrent en compte. cette expérience là on peut la transmettre aux plus jeunes ensuite. Et puis c'est vrai que Berlin c'était pas loin, donc c'était plus facile d'y envoyer une équipe. 

Alors je sais que nous n'avons pas le niveau international, on a le niveau national 1, mais au moins on sait ce qu'est un mondial, on pourra toujours faire profiter de notre expérience celles qui viendront par la suite. 

Tu peux nous parler de ta course des mondiaux, comment ça s'est passé? Tu as été beaucoup avec Laurence Klein, aviez-vous décidé de faire la cours ensemble?

On a décidé sans décider, on avait à peu près le même niveau sur les entraînements. Il y avait 73 concurrentes au départ, on savait que ça allait s'étioler peu à peu, et finalement on est parties ensemble et on est restées ensemble, en s'aidant du début à la fin, il faisait très chaud, et on s'aidait en se passant les éponges, les bouteilles d'eau, on n'a pas fait la course chacune de notre côté; on s'est poussées mutuellement. Alors je sais que notre attitude a été très critiquée car sur certaines photos je suis souriante, qu'on a dansé à l'arrivée, et donc qu'on aurait pas tout donné....ça peut paraître surprenant mais nous on était dans l'euphorie, il y avait un monde fou sur le parcours, on était tout le temps encouragées, alors il m'arrivait de faire un petit signe de la main, mais ça m'empêchait pas d'être dans ma course. Et à l'arrivée il y avait de la musique, deux immenses tribunes face à toi avec des gens de partout, de la musique, des gens qui dansent, et bien voilà tu fais comme les gens en face! et en plus on était contentes car notre course on l'avait bien gérée.

Vous aviez décidé de faire une course assez prudente?

Oui mais en fait c'était les consignes de la fédé car la veille les garçons pour la plupart étaient partis très vite, et ça a été très difficile, et leurs temps n'ont pas été très bons par rapport à leurs temps ordinaires. Donc la fédé nous a dit de faire attention, de partir de 5 à 10 secondes au kilo plus lent que notre temps habituel, donc c'est ce que l'on a fait, en partant en 3'50 au kilo. On a du passer à peu près en 1h21 au semi, et on s'est dit que l'on restait comme ça d'autant plus que la température commençait à monter, on en voyait pas mal qui s'arrêtaient, au 30ième kilomètre des spectateurs nous ont dit que Yamna Oubouhou était devant et qu'elle était pas bien, donc on l'a remonté tout doucement, on a essayé de la relancer en passant devant elle au 35ième, mais elle en pouvait plus. Bien sur on peut nous reprocher des tas de choses, j'ai lu qu'on trouvait qu'on avait manqué de combativité, mais bon c'est une course où il faisait chaud, sans lièvre et il valait mieux partir prudemment, mais j'ai tout donné, le lendemain j'avais aussi mal aux jambes qu'après Paris hein!!Et puis quand on est arrivées à Berlin, qu'on a vu les temps d'engagement, on tournait entre la 70ième place et la 90ième place, quand tu sais cela, tu vas pas dire "je vais m'accrocher aux chinoises et partir sur les bases de 2h25", ce serait du suicide. Finalement on est pas si loin de nos temps de référence en considérant les conditions particulières de la course. Une fille comme Marta Komu qui l'an passé a fini 5ième aux JO elle finit quelques secondes devant nous seulement. 

Personnellement avec Laurence, on garde un très bon souvenir d'avoir fait cette course par équipe, d'avoir réussi ce challenge malgré toutes les personnes qui ont pu baver sur nous, et puis tu sais il y a une fierté quand même, c'est que Laurence et moi on est les deux seules à être mères de famille, alors on est première et deuxième française, c'est une petite consolation, mais on est quand même fières. Mais si on fait que 49ième et 50ième des mondiaux, même si on en laisse que 11 derrière nous comme les médias l'ont dit, on l'a quand même fait, on a bien terminé, et on l'a fait à fond avec notre coeur.

Mais est-ce que les critiques que l'on a entendues tu les comprends, est-ce que ça t'a fait mal?

Je les comprends dans le sens où quand tu vois l'équipe de France tu vois l'élite, la représentation de la France à l'étranger, et donc quand on dit on envoie des filles qui ont pas le niveau d'un championnat du monde, sur ça je suis d'accord, par contre comme je l'ai déjà précisé, et ce que les gens n'ont pas compris, c'est qu'il faut susciter des vocations, relancer le marathon, alors peut-être que c'est pas avec nous que le marathon français va être relancé, mais il y a un signal fort de donner, regardez les filles, vous pouvez le faire vous aussi, tentez l'aventure. Peut-être que l'on a servi seulement à cela, mais j'accepte tout à fait ce rôle là. Mais j'aimerais qu'au lieu de dire "c'est complètement nul" on se dise plutôt est-ce qu'il n'y a pas de belles choses qui vont se faire pour la suite.

Et puis au final est-ce que ce n'est pas aussi un peu la faute des médias qui n'ont pas su expliquer certaines choses, notamment que vous n'êtes pas des professionnelles, que le but n'était pas forcément d'avoir des résultats cette année. Si le grand public regarde seulement cette course dans l'année il ne comprend forcément pas. D'autant plus qu'on ne vous a pas vu à la télé, contrairement au français qui finit dernier des séries du 100m qui a droit à une interview à l'arrivée.

On s'est fait mystifier par les médias depuis le début, depuis qu'ils ont décidé de monter une équipe avec des femmes qui ont plus de 35 ans, les médias ce sont demandé pourquoi ils ont pas pris des jeunes, ou des filles qui font du semi marathon et leur laisser leur chance... La fédé a pris comme critère le marathon de Paris, malheureusement pour tout le monde, les élues avaient plus de 35 ans. Si les médias ne nous aident pas, j'ai vu la rediffusion après où Montiel disait que les française sont tellement loin qu'on les voit même pas à l'arrivée, c'est sur que ça ne nous aide pas. Bon je demande pas aux médias d'expliquer les choses, c'est pas leur rôle, mais par contre qu'ils soient un peu plus cohérents dans leur discours, au lieu de dire "les filles vous êtes vieilles, moches et vous avancez pas", vaudrait mieux dire y'a un problème au niveau du marathon français et comment on peut s'en sortir, et plutôt de dire que le but c'est d'inciter d'autres filles à tenter leur chance au lieu de dire qu'on a envoyé 5 touristes aux mondiaux.

Le problème aussi c'est qu'en France on conçoit le marathon comme quelque chose de super difficile, certes c'est beaucoup d'effort, d'abnégation et de travail, mais en même temps la notion de plaisir est plus du tout abordée dans les médias, et nous ce qu'on a voulu dire peut-être dans notre attitude, c'est évoquer ce plaisir qui est de courir au départ. Si tu n'as pas de plaisir, tu n'as rien!! Je crois qu'il faudrait peut-être qu'on arrête au niveau médiatique ou des entraîneurs de dire oh la la, ça va être super dur, si tu fais pas ci ou ça, tu t'en sortiras pas.. Non autant mettre en avant que l'on est peut-être pas au départ compétitives, mais on y est allé avec notre coeur, notre plaisir, au départ il faut avancer avec cela, et après envisager d'être compétitive et de se donner à fond. Je suis peut-être utopiste quand je dis cela, c'est clair, mais si on donnait une idée plus valorisante du marathon, avec le plaisir de se surpasser et d'aller au bout, peut-être ça irait mieux. Je connais beaucoup de gens qui montent jusqu'au semi, et qui ensuite au lieu de monter sur les 42km vont faire des trails, des choses ou la notion de difficulté n'est pas aussi poussée que sur marathon.

Puis difficile de lutter aussi contre les Africains qui font ça pour vivre, nous on fait du marathon d'abord pour se dépasser soi même et non pas pour s'en sortir socialement

Dans le groupe France il y a James Theury et Simon Munyutu, tu vois déjà dans leur attitude que ce sont des personnes habituées à s'entraîner à la dure. Mais bon en France aussi le gros problème c'est que l'on veut tout tout de suite, tout de suite on veut le haut niveau, et le haut niveau, c'est les pays d'Afrique, ou l'Asie chez les femmes, mais tu peux pas comparer à notre société occidentale. Bon alors peut-être qu'en effet on ne peut pas se comparer à eux, mais alors pourquoi ne pas se raccrocher à autre chose, et se dire on va le faire pour réussir, se dépasser et se faire plaisir. Alors c'est peut-être pas suffisant pour les gens qui veulent que l'on soit au sommet, mais il faut remettre les choses dans leur contexte, nous on est pas morts de faim, on a tout le confort nécessaire, et dans notre société soit tu es élitiste à fond, soit tu fiches rien, il n'y a pas de juste milieu, notamment pour les jeunes. Quand tu vois tous les vétérans qu'il y a sur les courses, soit ce sont d'anciens coureurs qui continuent, soit ce sont des gens qui veulent se remettre à faire du sport car ils arrivent à un âge où il faut absolument s'entretenir. Pourquoi dans notre groupe il y avait des filles de 35 ans, peut-être parce que tu as beaucoup de jeunes qui se disent que c'est trop dur.

Mais en France aussi tu trouves pas qu'on a l'habitude de tenter l'aventure du marathon trop tardivement? Quand on voit les chinoises par exemple gagner à 20 ans, même si ce sont pas des exemples à suivre ça fait quand même réfléchir

C'est vrai qu'ils n'ont pas les mêmes politiques non plus, la chinoise je l'ai vue de très très près, et elle ne fait pas vingt ans, elle fait beaucoup plus vieille que cela, elle est déjà très très marquée, je sais pas comment ça va se passer plus tard dans sa vie... Nous on a une politique qui vise à préserver énormément les jeunes, c'est vrai que les jeunes sont un peu dans un cocon. Moi c'est vrai que quand j'ai fait mon premier marathon à 28 ans j'en ai entendu beaucoup me dire que j'étais trop jeune, bon je disais ça va 28 ans... Et puis tout est possible, Benoit Z avait fait son premier marathon très jeune, vers 22 ans je crois, donc tout est possible. Maintenant faire évoluer les mentalités en France ça va être très difficile, on doit commencer par l'école d'athlé, puis faire du 800, du 1500, du 3000 et monter comme ça jusqu'au 42km, après je sais pas si on acceptera de changer ce genre de choses car les systèmes asiatiques, Africains ou Européens sont complètement différents on peut pas les comparer. Tiens il y a l'exemple de Thibaud Naël qui a débuté sur la distance cette année et qui est assez jeune, et sur certains forum certains disaient qu'il est très jeune, mais il se sentait prêt à le faire psychologiquement. Je pense que des jeunes de 24/25 ans auraient envie de le faire, mais tant qu'on aura cette mentalité de dire "c'est trop dur on y arrivera pas, vous allez le casser", on avancera pas. Et puis si avant la préparation marathon, c'était essentiellement bouffer des kilomètres, or maintenant dans une préparation marathon on trouve aussi pas mal de qualitatif même si bien sur les 5 dernières semaines sont plus axées sur le long, mais c'est pas vrai que l'on peut pas revenir sur des distances plus courtes après. D'ailleurs j'ai fait mon meilleur temps sur 3000 cette année par exemple..

Pour en revenir à Berlin, vous avez fait une préparation avant la course où vous étiez si athlètes convoquées pour 5 places, est-ce que cette concurrence ne vous a pas obligé pour puiser dans vos réserves pour être dans la sélection?

Quand j'ai vu qu'on était 6 pour 5 places, j'ai appelé la fédération en leur faisant par de cette peur là, je pensais qu'on allait au casse pipe, mais dans leur tête ils avaient déjà fait une pré-sélection, en tous les cas chez les filles c'était clair, on savait que Ingrid Lopergolo serait la 6ième sauf blessure d'une autre. Chez les hommes je crois que ça a été un peu plus indécis, car Simon Munyutu qui était passé à côté à Paris a été très bien pendant le stage, donc ils ont modifié leurs plans. mais ça veut pas dire que les garçons sont allés au casse pipe à chaque fois, loin de là. Nous ils nous ont toujours dit d'être prudent aux entraînements, de ne pas faire n'importe quoi. 

L'entraînement en groupe c'est une bonne chose tu trouves? car vous avez tous une façon de travailler différente d'habitude

Ca été dur en effet de concilier tout cela, mais pour ma part mon entraîneur n'a pas l'habitude d'avoir des athlètes sélectionnés et donc il avait laissé carte blanche à la FFA, pareil pour Ingrid Lopergolo. Par contre c'est vrai que les autres avaient leurs plans à elles, et des entraîneurs plus habitués d'avoir des athlètes sélectionnés, donc au départ ça a été un peu difficile de tout goupiller, mais je pense qu'on a été suffisamment intelligentes pour que tout se passe bien. Bon on savait que Yamna Oubouhou avait pas le même niveau que nous, alors on a fait les mêmes séances mais j'allais pas m'amuser à suivre Yamna qui était au dessus de nous, on a adapté par rapport à notre niveau. La fédé avait mis un plan qui était suffisamment je dirai "bateau" pour qu'il puisse être accepté par tous. Au niveau ambiance dans le groupe ça a été crescendo, moi j'ai l'habitude de m'entraîner avec des garçons et au départ j'ai eu beaucoup de difficultés à m'entraîner avec des filles, d'autant plus que je fais un boulot de garçons, donc au départ c'était dur. Et puis tu mets 12 personnes qui viennent d'horizons et d'univers suffisants, c'est sur que parfois ça clashe c'est normal, mais honnêtement au final, ça s'est bien passé très honnêtement, et même très bien je dirai. 

Au final cette aventure te laissera de bons souvenirs?

Ah oui, j'ai beau avoir 37 ans le jour des mondiaux, déjà c'était fabuleux d'être là. Autant j'aime bien être dans ma bulle autant là être dans un peloton, avec des gens autour qui t'encouragent, j'étais dans mon domaine, c'était magnifique. Et puis me dire qu'un an avant j'étais dans une chambre d'hôpital et me retrouver dans le même hôtel qu'Hussein Bolt, c'est magique, j'étais comme une petite fille qui vivait ses rêves, et ça j'oublierai jamais. On a beau avoir tous les détracteurs du monde, personne m'enlèvera la joie et le bonheur que j'ai pu tirer des quelques jours passés là-bas, c'était une belle expérience, de même que l'année que l'on a passé à se préparer ensemble. J'espère qu'il y aura une continuité derrière, avec ou sans moi, pour le marathon français.

En tous les cas vous êtes allées toutes les 5 jusqu'au bout, c'est à noter!!

Oui on est allé jusqu'au bout, on se l'était promis. On a donné le meilleur de nous même ce jour là, c'est sur que l'on a pas tourné en 2h37, mais moi et Laurence on était pas si loin de nos records, les filles ont toutes fait ce qu'elles pouvaient, et on était heureuses d'aller jusqu'au bout.

Et maintenant quels vont être tes projets d'avenir?

Très prochainement je vais faire les foulées du port à Caen et Paris-Versailles, puis je vais faire les cross pour me faire  de bonnes cannes!! J'aime bien le cross, c'est très ludique. Et après j'envisage de partir avec mon conjoint au kenya avec James Theury, et faire une préparation marathon pour essayer de descendre mon record à Paris. Cette année m'a donné envie de refaire les choses correctement, car je me rends compte qu'une préparation quand elle est bien faite, c'est super car le jour J, bon tu peux te planter bien sur, mais quand tu prends le départ tu te dis ça y est j'ai bossé, il faut que je le fasse à fond. Rien que ce plaisir là c'est génial, je suis assez enthousiaste et j'aime vivre ce moment là, c'est magique. Et je pense que tu courres ton marathon en 2h10 ou en 5h, ce sont les mêmes choses qui nous font avancer.

Tu espères être aux championnats d'Europe l'année prochaine?

Non l'année prochaine il n'y aura que des qualifiés individuels, bon il y aura Christelle Daunay, qui visera sans doute le titre européen, et on verra si d'autres filles feront les minimas. Mais après, vu le fiasco de Berlin, le fédé ne sait pas s'ils vont perdurer sur l'option collectif marathon, mais qu'à cela ne tienne, pour ma part je vais essayer encore de m'amuser quelques temps, et de vivre de belles choses, c'est le principal.