INTERVIEW DE EL HADI MOUMOU

INTERVIEW DE EL HADI MOUMOU

Vainqueur du challenge marathoninfo 2003 dans la catégorie vétérans, certains d'entre vous désiraient connaître ce marathonien qui enchaîne les marathons comme d'autres les 10km. Après une demande auprès de son club, Mr Moumou nous rappelle , surpris mais heureux d'avoir remporté un challenge qu'il ne connaissait pas, rendez-vous est pris pour la semaine suivante. L'interview sera chaleureuse et nous avons eu le bonheur de faire la connaissance d'une personne attachante et passionnée, comme nous les aimons sur le site. L'entretien sera long et passionnant lui aussi, sans langue de bois,  comme un marathon quoi!! Voilà l'intégralité de cette interview.
Quand avez-vous commencé à pratiquer la course à pied, qu'est-ce qui vous a poussé à pratiquer ce sport?

En fait c'est un hasard, quand je suis arrivé en France (il avait trente ans) il était dans ma tête inimaginable de pouvoir courir un marathon. J'étais à Rennes dans un petit club, et quelqu'un par accident m'a vu courir et ma dit "je peux vous inscrire dans mon club" et c'est parti comme ça; j'ai commencé à participer avec eux. Je faisais de l'auto stop pour aller dans les compétitions, je me sentais bien car je trouvais que c'était spécial, les gens étaient sympathiques, je trouvais tous les ingrédients pour ne pas être seul. Je découvrais différentes régions, je trouvais la France belle et ça me plaisait beaucoup. Et puis je progressais sans rechercher la performance

Vous deviez avoir des qualités à la base que vous ignoriez?

Croyez moi à la base ce n'était pas la performance que je recherchais, je recherchais l'ambiance. La route pour moi c'était la fête, tous les dimanches je changeais de région, ça me plaisait vraiment de faire ça.

Et quand vous étiez au Maroc vous n'étiez pas dans un club?

Non non, je ne courrais pas dans un club!! Une fois à l'école, mais c'était lors d'une occasion spéciale, je ne suivais pas d'entraînement particulier. Disons que c'est la performance qui est venue vers moi, ce n'est pas moi qui suis venu la chercher. Je n'ai pas franchi les étapes minime, cadet, junior, qui est le cursus habituel. J'ai commencé à progresser vraiment de 93 à 95.

Dans votre famille personne ne pratiquait cette discipline?

Non, de toute façon je suis sans famille ici en France, j'étais venu ici dans l'intention de continuer mes études de topographe.

Vous avez toujours été basé en Bretagne?

Le Bretagne c'est mon point d'attache, il y a tous les éléments pour progresser. J'adore le littoral breton qui est vraiment superbe. Non vraiment il y a TOUS les éléments, j'aime la Bretagne autant que le Maroc, je suis très attaché à ici. Les gens sont très sympathiques avec moi, je n'ai pas de titre, je ne suis pas un champion du monde, mais les gens m'ont fait confiance et ils me respectent comme moi je les respecte. Je me suis intégré doucement ici, quand on reste spontané, sans sauter des étapes, que l'on va vers les gens, on est accepté. A chaque fois je suis applaudi comme un champion et pourtant je n'en suis pas un. Même en dehors de la Bretagne, il y a toujours des bretons qui m'encouragent, j'ai un rapport de confiance extraordinaire avec les gens d'ici. Je suis bien apprécié ici. Vous savez un jour j'ai participé à une course au Maroc, les organisateurs ont eu de la reconnaissance pour moi car ils ont entendu parlé de mes performances en France, je crois qu'en restant au Maroc je n'aurai pas eu la valeur que je peux avoir ici. Je suis très très fier d'avoir les deux nationalités marocaines et françaises.

Vous savez pour moi le sport n'est qu'un moyen pour montrer aux gens ses capacités et aussi ses valeurs, pour moi la performance maintenant, avec la triche qui l'accompagne ça me met la haine. Dommage que l'on s'éloigne de l'esprit sportif, avec je suis désolé de le dire un système qui va vers le dopage et la triche.

Vous pensez que c'est un problème récent le dopage ou que ça a toujours existé?

De toute façon ça a toujours existé, je n'étais pas indifférent à ce sujet. Vous savez je ne suis pas admiratif des temps qui peuvent être réalisés maintenant où on atteint les 2h04. Actuellement je ne suis pas un fana de la performance, j'aimerai bien savoir ce qu'il y a derrière ces performances, car maintenant ça reste relatif la performance par rapport à la réalité, par rapport au dopage. 

Moi j'ai fait 2h14 à Lyon, en Italie, j'ai fait 2h15 à plusieurs reprises, mais je vous assure que je suis fier de le dire car maintenant pour moi 2h14 ça vaut ..... Vraiment s'il n'y avait pas le dopage je crois que je serais un champion du monde, car ma performance est vraiment pure. Je ne suis pas là pour juger les gens qui se dopent non plus, mais je pense que c'est une affaire de société et qu'il faut le dénoncer, même à l'échelle populaire. J'espère et je rêve que l'esprit sportif domine ce système du dopage et cette filière avec tous ces gens qui travaillent dedans. je suis bien placé pour dire qu'il faut que ce soit une affaire éducative, il faut informer les gens surtout pour les jeunes, car pour nous c'est trop tard. franchement j'ai la rage contre tout ça, je m'entraînais comme un fou avant, pour deux ou trois ans après trouver des gars que l'on a suspecté, puis qui sont graciés, je ne sais pas quoi dire..... qu'est-ce qu'on attend maintenant!! ça me scandalise, c'est la seule chose qui me scandalise en ce moment. Je courrai et j'attendrai le jour où on mettra les choses à plat pour qu'on reparte sur de bonnes bases, il faudrait une loi internationale et des informations éducatives comme on le fait pour la drogue, qu'on aille vraiment dans le sens des valeurs du sport.

Revenons un peu à vous, est-ce que vous pouvez me parler de votre premier marathon?

Oui!! C'était à Rennes, et je l'ai fait en 2h31', ensuite mon second était à Brest en 2h25', je crois que mon premier était en 1991.

Puis vous avez gagné en 2h20 à La Rochelle en 1992, donc d'entrée vous avez réalisé de très bonnes performances.

Oui mais moi j'enchaînais, car je n'avais aucune chance... J'aimais bien prendre les choses comme ça, comme elles venaient, à la sensation.

J'ai vu qu'entre 1994 et 1995, vous avez fait 23 marathons consécutivement en moins de 2h20, et j'ai lu que ce serait le record du monde (en fait il tiendrait ce record à égalité avec l'italien Giorgo Calcaterra)  vous étiez au courant?

Non franchement je ne le savais pas, je vous assure. Sincèrement je ne me posais pas de question, je courais comme ça..

Si l'on prend l'année 1994, on voit que vous avez fait 13 marathons en moins de 2h20, vous comprenez que ça puisse paraître incroyable pour des amateurs qui ont parfois du mal à en faire deux ou trois par an, surtout dans les temps où vous les faisiez?

Vous savez dans mon enfance j'allais à l'école qui se trouvait à 9km, bon... Je suis d'une bonne constitution, il ne faut pas dire que les sportif sont protégés, personne n'est à l'abri d'un pépin de santé, mais j'étais quelqu'un qui courrait à la sensation, je n'allais pas au massacre. J'enchaînais parce que je savais que j'étais capable de le faire.

Et vous n'avez jamais eu de lassitude d'enchaîner les épreuves comme ça?

Bien sur comme tout le monde hein, qui ne se blesse pas? Par contre quand j'étais blessé, je revenais après deux fois plus fort. Et puis vous savez le contrôle de la douleur c'est dans la tête, musculairement je ne suis pas impressionnant, je crois que je dois ça à mon mental, il y a une sorte de qualité et de patience

Je crois que je suis quelqu'un qui domine la douleur

Peut-être avez-vous aussi des qualités de récupération hors norme?

(il rit)... Bon c'est vrai qu'il y a des moyens pour bien récupérer à commencer par l'alimentation qui est importante, et puis il faut savoir faire d'autres choses à côté comme le vélo, il y a pas mal de choses qui permettent de bien récupérer. Et puis j'en reviens au mental aussi, on est vite dominé par les douleurs, et puis quand on a mal il faut savoir s'arrêter ou freiner, il faut bien se connaître. Et puis parfois je participe sans objectif de performance, je pars sur des bases moins élevées sans rechercher la performance à tout prix.

Et pourquoi en 95 par exemple au lieu de faire 13 marathons, vous n'en avez pas fait deux ou trois en essayant de faire de meilleures performances?

L'année ou j'avais envie de faire des meilleures performances c'était l'année où j'ai fait à Paris 2h15' mais je n'avais pas encore reçu la nationalité française, je ne l'ai reçue que 6 mois après et donc je n'ai pas pu participer aux championnats d'Europe pour lesquels normalement j'étais qualifié. Puis l'année d'après je n'étais pas au top car on ne peut pas toujours l'être et je n'ai pas été pris. Non si j'avais envie de le faire je le ferai. J'étais passionné, et j'arrivais à faire des performances car j'étais libéré dans ma tête, je n'avais personne, je n'avais pas d'entraîneur et je n'avais aucune pression, j'étais bien dans ma tête.

Et vous n'avez jamais eu de grosse blessure?

Ah si!! j'ai eu une double fracture du péroné !!Mais bon je n'en parle pas. J'ai été plâtré. En fait il s'agissait d'une fracture de fatigue qui s'est transformée en double fracture. Comme on dit c'est le métier qui rentre!!Et puis ça permet de mieux connaître son corps aussi. Après on a envie de revenir deux fois plus fort parce que la motivation elle est plus forte aussi.

Vous savez même quand j'avais du travail je me levais tôt, car quand j'aime quelque chose je le fais bien, il faut du courage!!J'aime bien le sport, je suis passionné, c'est ça qui me stimulait. D'ailleurs je ne sais pas quand je vais arrêter mais je crois que je n'ai pas l'intention d'arrêter, car je trouve ce côté humain très riche. En même temps ça nous apporte une certaine philosophie pour s'harmoniser avec notre environnement, avec l'être humain et ses différences de culture. quand on voit les années passer, les gens qu'on a connu, on sait qu'on s'harmonise avec son environnement. Ce sport est porteur sur tous les plans, et en même temps ça permet aussi de mieux se connaître. Quand on connaît ses limites, on connaît l'autosuffisance, de quoi on a besoin, et je retire de ce sport là aussi qu'on a besoin de peu de choses.

Quel est le marathon qui vous a laissé le meilleur souvenir?

Le meilleur souvenir c'est la première fois où j'ai terminé un marathon, bien sûr il y a d'autres bons moments, ça dépend des degrés en fait...Mais je crois que c'est quand j'ai compris que j'étais capable de dominer quelque chose de monstrueux, j'étais capable de faire quelque chose qui pour moi était monstrueux.

Et est-ce que vous avez des mauvais souvenirs?

Oui, il y a un marathon que j'avais préparé très fort, dans la douleur, ma famille m'attendait au Maroc et j'ai abandonné alors que j'étais deuxième à cause d'une gastro, et en même temps il y a un mauvais souvenir c'est quand la direction technique nationale du Maroc ne m'a pas sélectionné pour les championnats du monde alors que j'avais les résultats pour être sélectionné, le DTN a  pris une autre personne à la place qui n'a pas terminé la course, et ça m'a fait mal, car en 1994 j'étais capable de remplir mon contrat, je suis sûr que j'étais capable de rentrer parmi les 10. Je dois dire qu' à cause de cette histoire ça m'a donné envie de prendre la double nationalité. c'était mauvais parce que je savais que j'étais capable et en même temps j'ai senti que ma propre fédération me sous-estimait. Et on voyait des athlètes qui quittaient le Maroc à cause d'une sorte de bureaucratie de l'administration de la fédération de l'époque. Je pense qu'ils ont appris beaucoup de leçons aujourd'hui, quand on voit un athlète comme Khannouchi qui avait des problèmes avec la même fédération, il a quitté le Maroc et a battu le record du monde, après il voulait plus y revenir. Mais bon on revient parce que quand même c'est notre pays d'attache et il le restera toujours malgré tout.

En 2001 vous avez fait une expérience sur 100km à Cléder où vous aviez terminé en 7h04'44".Est-ce la seule expérience que vous avez fait sur cette distance?

Oui c'est la seule expérience, 100km ça ne s'aborde pas comme ça, il faut être vraiment bien préparé déjà au niveau psychologique et puis il faut des moyens pour le faire, ça peut causer des dégâts si l'on part comme ça. Je crois que j'en referai un autre mais ce sera peut-être (il insiste sur le peut-être) dans les deux ou trois ans qui viennent. ça m'a coûté cher la dernière fois car j'ai eu une défaillance au 98ième km. Mais je suis content quand même, je suis prévenu qu'il ne faut pas se lancer comme ça, il ne faut pas aller dans une telle compétition par hasard mais bien préparé. je crois que j'ai les qualités pour le faire, mais il faut vraiment prendre le temps, avoir un temps aménagé, mais bon ça ne sera pas avant deux ans. Ce n'est pas parce que je suis habitué à enchaîner plusieurs marathons qu'il faut aller au massacre car 100km c'est plus de deux marathons. Et puis est-ce que ça vaut le coup de le faire, à part peut-être pour un championnat parce que déjà un marathon c'est limite. Pour le moment je n'ai pas l'envie de le faire, à moins qu'un jour il y ait un déclic, c'est pour ça que je laisse un peu de temps.

D'après-vous quelles sont les principales qualités que doit avoir un marathonien?

Moi je dis que la chose qui compte le plus, dans chaque chose et aussi bien dans le marathon, c'est de le faire par amour. Bien entendu il faut avoir un certain parallélisme entre le mental et les qualités physique, et surtout en ce qui concerne le mental, avoir les qualités de contrôle de la douleur. Après il convient de s'avoir s'adapter à ses propres qualités physiques, mais bon après vous savez chacun à son programme. Après bien sur il y a le régime alimentaire qui est important, savoir récupérer et être disponible.

Vous qui êtes depuis un bon moment sur le circuit, avez-vous noté une évolution du marathon ces dernières années?

Oui beaucoup, au niveau des soins, de la préparation physique, tout a changé!!Maintenant il y a un suivi médical, avant il n'y avait pas toute cette préparation, maintenant on fait des bilans sanguins, certains font de l'altitude. Maintenant le marathonien vient souvent du demi fond, certains font du cross, puis du 10000, puis semi et on monte sur marathon, et tout est proportionnel. Bon et puis il faut aussi avoir des moyens car maintenant il faut faire des stages, c'est pas facile.. Le niveau c'est nettement amélioré en dix ans.

Y a-t-il des épreuves en France que vous appréciez particulièrement?

Oui sincèrement j'aime beaucoup La Rochelle, mais il y a aussi des plus petites épreuves dans mon coin que j'aime bien parce qu'elles respectent le côté humain et  ne misent pas tout sur la performance. Mais c'est vrai que j'aime beaucoup La Rochelle, Paris aussi et des courses dans ma région comme par exemple Auray/Vannes.

En 2003 vous avez fait neuf marathons..

Oui mais bon maintenant je n'ai pas d'objectif, je fais ça pour mon plaisir, pour passer mon dimanche. Vous savez après 40 ans on continue parce que j'aime bien, ça m'apporte un équilibre physique, je reste dans le bain comme on dit, mais je n'ai aucune prétention.

Est-ce que vous vivez du marathon?

(il rit) Non non non, pour moi ce n'est pas une profession.

Vous n'avez jamais pu vivre de votre passion?

non, ça n'apporte pas plus que la fatigue, il faut faire quelque chose à côté parce que.. C'est vrai que j'en ai profité un petit peu, je ne le cache pas et je ne crache pas dans la soupe, mais ce n'est pas un sport dont on peut vivre, on ne peut pas nourrir une famille avec.

En ce moment vous travaillez?

je cherche, j'ai un diplôme mais il n'est pas homologué. je prépare un diplôme d'éducateur sportif en ce moment mais je ne l'ai pas encore entièrement. j'ai un diplôme de géomètre topographe mais il est pas homologué ici, je l'ai eu au Maroc. Sinon j'ai fait pas mal de CES des trucs comme ça..

Votre avenir vous le voyez en France ou au Maroc?

Je le vois en France, mais bon je ne sais pas où (rires). Mais bon moi je suis bien en Bretagne, j'ai pas de problème ici, à part la stabilité du travail tout va bien, je suis content et très bien ici, bien adopté, et voilà...

Et si j'ai bien compris vous allez continuer encore à courir longtemps?

Sincèrement, ça peut arrêter d'un jour à l'autre parce que là en ce moment je n'ai pas de famille mais je pense que ça s'arrêtera quand j'aurai une petite famille, et je pense que je ferai concilier le sport en fonction de la famille. Mais bon moi je suis un vétéran, c'est du passé, c'est fini pour moi d'avoir des ambitions. Enfin je ne dis pas que je suis fini mais je n'ai aucune prétention. Je reste dans le sport mais sans trop rêver quoi.

Et pour 2004 vous avez programmé vos objectifs ou faites-vous au coup par coup?

Là je suis à la recherche d'un boulot tout d'abord et après on verra. Je ne sais pas les courses que je vais faire, je ne suis pas quelqu'un qui prend les calendriers et qui programme en disant je vais faire ça, je vais faire ça, je prends les choses comme elles viennent. De toute façon ma priorité maintenant c'est trouver un boulot, avoir une petite famille et inch allah comme on dit!!

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