INTERVIEW DE JOHN NGENY

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INTERVIEW DE JOHN NGENY (juillet 2005)

Nous entendons régulièrement parler des coureurs des hauts plateaux qui animent chaque week-end les plus beaux marathons à travers le monde, la France n'échappant pas à ce phénomène, en effet combien de courses voient les premières places disputées par des coureurs kenyans!! La chance a voulu que je puisse rencontrer l'un d'entre eux et qu'il accepte de répondre à mes questions, John N'Geny est connu en France pour avoir gagné à trois reprises le marathon de la Rochelle, épreuve chère à son coeur. Son record est actuellement de 2h15'09", mais il espère bien le battre l'automne prochain après une bonne préparation ce printemps passée à refaire de la vitesse. John  a joué le jeu des questions réponses mais n'a pas souhaité répondre à certaines, et notamment pour ce qui concerne le domaine de l'argent, des managers ou encore de sa fédération. (on ressent une certaine pression qui lie un peu les langues) Rencontre avec un kenyan très sympathique parmi tant d'autres:

John, de quelle région du kenya viens-tu?

je viens de Kapsabet, dans la région de Kalenji dans la rift valley. C'est une région d'où sont issus de nombreux coureurs kenyans. Paul Tergat par exemple est lui aussi un Kalenji. Kapsabet n'est pas très loin de Eldoret qui est plus connu. 

Pourrais-tu nous décrire ton enfance au kenya et en général la vie des enfants au kenya?

La vie des enfants kenyans est à peu près la même que celle des enfants en France, nous allons à l'école dès la maternelle, puis les études se poursuivent en primaire, collège et au Lycée. Ensuite il y a l'université. La seule différence c'est que les écoles sont un peu plus loin qu'en France, il faut faire parfois entre 4 et 10km pour se rendre à son école, et il y a beaucoup moins de voitures alors on y va en marchant, la différence est là. Mon école à moi était à 8 km, et j'y allais en marchant et courant. Au kenya dans les écoles nous avons un uniforme, et les écoles sont mixtes comme en France, il y a environ 40 élèves par classe.

Qu'est-ce qui t'a le plus surpris en venant en Europe, as-tu été choqué par la différence de niveau de vie?

La partie du kenya où j'habite est une région assez verte, et quand je suis dans le Poitou à Pamproux (on le surnomme d'ailleurs le kenyan du Poitou) il n'y a pas une grosse différence. Finalement, je n'ai pas trouvé une si grande différence entre l'Europe et le kenya, bon bien sûr il y a une densité de population et de voitures qui est différente, mais sinon je n'ai pas été si surpris et dépaysé que cela, il n'y a pas un monde de différence, sauf sûrement au niveau des animaux sauvages!!. La plupart des Kenyans ont un téléphone mobile et quand je suis en France, je communique avec ma famille par internet. Il y a moins de grandes villes, mais si l'on va à Nairobi, on trouve aussi des buildings, des hôtels...et des terrains de golf, culture anglaise oblige.

Comment as-tu été détecté et quelles ont été tes premières courses en Europe et plus particulièrement en France?

J'étais un bon coureur au kenya, et un de mes amis  faisait déjà des courses en France, il avait un manager qui habitait près de Poitiers, et quand ce monsieur est venu au kenya, je lui ai demandé s'il pouvait me prendre dans son équipe pour faire des courses en France, ça s'est fait comme cela. Sinon  j'ai commencé à faire des courses dans mon pays à 15 ans, j'étais souvent dans les groupes de tête, je n'étais pas toujours le plus rapide, mais jamais loin des meilleurs, il y a des coureurs très forts dans la région de Kalenji, la concurrence est rude. Cette année j'ai fini trentième aux sélections kenyanes.

Comment est-ce organisé au Kenya? Y a-t-il des clubs ou quelles sont les structures existantes?

Ce n'est pas comme en France, il n'y a pas de club dans chaque ville, il y a des clubs de groupements plus professionnels, comme par exemple les prisons, la Police, l'armée, moi je courrais tout seul, je ne faisais pas parti de ces structures là, mais par contre j'ai toujours été licencié à la fédération kenyane. Pour venir en France je dois lui demander l'autorisation.

Maintenant, te consacres-tu entièrement à la course à pied ou as-tu une autre activité au kenya? Quelles sont tes conditions d'entraînement là-bas?

Au kenya j'ai une ferme maintenant, je m'en occupe quand je suis là-bas. En fait au kenya, je vais m'entraîner tôt le matin, et ensuite je soigne les animaux. Le soir, après le travail je retourne de nouveau m'entraîner. Mes conditions d'entraînement là-bas sont bonnes, car déjà nous sommes à 2000 mètres d'altitude, et je m'entraîne avec un groupe d'athlètes, il y a une certaine émulation entre nous. Je m'entraîne avec des gars qui sont parfois parmi les meilleurs du monde. Mais je n'ai pas d'obligation et d'horaires d'entraînement fixe, je ne vais pas retrouver forcément les mêmes coureurs chaque jour, c'est à moi de me gérer.

D'avoir gagner le marathon de La Rochelle, est-ce que cela a changé quelque chose dans ta vie?

A Kapsabet, ça m'a donné une certaine notoriété d'avoir gagné trois fois à La Rochelle, d'autant plus que ce marathon a une très bonne réputation au kenya, c'est une épreuve qui est connue. Donc oui ça m'a apporté une notoriété, c'est évident. 

Est-il nécessaire pour un coureur kenyan d'avoir un manager quand il arrive en Europe?

Oui c'est nécessaire, car un jeune kenyan qui arrive en France ne connaît pas les lieux, ne sait qui appeler, et il y a plein de petits trucs pratiques qui ne sont pas facile à gérer seul quand on arrive dans un pays inconnu, sans compter la barrière de la langue. Si vous veniez au kenya, vous auriez besoin de quelqu'un pour vous guider, vous apprendre les coutumes, les lieux, comment se loger, etc... Même certains coureurs français ont des managers, ça permet aussi d'être mieux conseillé, que ce soit au niveau financier et au niveau sportif. 

Est-ce les managers qui viennent recruter les kenyans ou les coureurs qui sollicitent les managers pour participer à des courses en Europe?

Comme je t'ai dit, de mon côté c'est moi qui ai sollicité un manager pour aller faire des courses en Europe. Mais il existe aussi des managers qui viennent au kenya pour faire de la détection. En fait ça marche dans les deux sens

 

Il y a de plus en plus de kenyans sur le circuit, comment expliques-tu une telle densité par rapport aux autres pays d'Afrique moins représentés?

Le kenya est un pays qui est stable politiquement et ou le sport, en particulier la fédération d'athlétisme, est bien structuré.  Je pense que c'est cela qui explique notre forte densité d'athlètes. Il y a plus de coureurs au kenya parce que le niveau de vie est bon je pense, au kenya contrairement à l'image que pourraient avoir certains de ce pays, on y cultive de tout, c'est un pays qui est vert. Et nous sommes le premier exportateur mondial de thé. 

Y a-t-il une concurrence sur les courses entre les éthiopiens, les Tanzaniens et les kenyans?

Oui bien sur, il y a une concurrence. 

Quand on est coureur professionnel, que la course à pied est un métier, quelle est la part de plaisir pris dans cet exercice?  

Bien que la course à pied soit pour moi une occupation importante, j'ai toujours un grand plaisir à faire des courses. Les kenyans sont des sportifs dans l'âme, et nous avons le sourire quand nous sommes sur un podium parce que nous sommes vraiment heureux de faire ce sport.

Y a-t-il d'autres sports importants au kenya en dehors de la course à pied?

Oui, mais l'athlétisme est le sport roi, il y a d'autres sports pratiqués au kenya, moi j'ai fait un peu de volley-ball, mais il y a aussi du football , du basket, bref on est des sportifs dans l'âme et beaucoup d'autres sports sont pratiqués. Il y a même eu un cycliste professionnel dans une équipe européenne.

Quel est le meilleur souvenir de ta carrière et quels sont tes objectifs à court et moyen terme? Qu'as-tu pensé de tes performances en 2004?

Bien entendu mon meilleur souvenir c'est ma première victoire au marathon de La Rochelle. Pour ce qui est de 2004 j'avais couru le Mont st Michel où j'ai réalisé mon meilleur temps, aussi je ne pouvais pas être déçu par cela, pour ce qui est du marathon de La Rochelle, j'étais malade, j'ai fini le dernier kilomètre en plus de 5 minutes, c'est pour dire comme j'étais mal. Il faut dire que l'année dernière c'est le climat qui a été difficile à supporter, j'étais transi de froid, mais j'ai tenu à finir tout de même parce que j'aime ce marathon et son public.

Justement, que penses-tu du public français?

Le public français est un très bon public, les gens sont toujours gentil avec les athlètes kenyans, souvent heureux de nous voir sur les courses. Oui j'aime beaucoup le public français, car les gens sont agréables, particulièrement avec moi. De plus je suis reconnu en France car depuis 5 ans je viens régulièrement sur les courses, et comme j'ai gagné trois fois La Rochelle, mon nom n'est pas inconnu des gens. Je suis encore plus connu à Pamproux, dans le Poitou où je loge souvent quand je suis en France. Je passe tous les ans entre trois ou six mois en France.

Comment gères tu ta ferme quand tu es en France?

Ma famille reste au kenya et s'occupe de tout en mon absence. Il y a des journaliers qui viennent aider au besoin, comme en France, les fermiers font appel à des saisonniers pour les récoltes. 

As-tu des enfants?

J'ai deux enfants, un garçon et une petite fille. Je pense d'ailleurs que je n'aurai pas plus d'enfants, deux c'est bien!! Pour ma part j'ai deux frères, un plus âgé et un plus jeune, mon jeune frère qui est étudiant court lui aussi mais il est meilleur sur la piste. 

Comment les coureurs kenyans sont-ils perçus dans leur pays? Etes vous courtisés de par votre situation enviable?

Les kenyans sont fiers de leurs coureurs. Évidement oui nous sommes courtisés, mais dans votre pays c'est pareil, les champions sont aussi très courtisés, le kenya n'est pas différent dans ce domaine. Dans ma ville de Kapsabet bien sur je suis plus connu, c'est inévitable.

Pour finir combien de temps penses-tu pouvoir courir encore à haut niveau?

J'ai 28 ans, je suis encore jeune, je pense que je peux encore courir trois ou quatre ans au haut niveau, après on verra bien. Mon objectif c'est de m'améliorer sur marathon pour participer à un grand marathon international, mais je veux y participer avec des chances de bien figurer, c'est à dire lutter avec la tête de course. Pour cela il me faut améliorer mon meilleur temps qui est de 2h15, et j'espère y arriver dès cet automne et réaliser entre 2h12 et 2h13. Cette année j'ai un vrai objectif marathon, et je maîtrise mon programme de compétition. Les années précédentes, on organisait mon emploi du temps à court terme, aussi ma préparation n'était pas toujours optimale. Cette année je me suis donné les moyens pour réussir mon objectif.

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