INTERVIEW DE CORINNE RAUX

INTERVIEW DE CORINNE RAUX (08/04/2004)

Corinne Raux est une championne, tout le monde en est conscient depuis dimanche (sauf elle peut-être qui a du mal à réaliser ce qu'elle vient de faire). C'est aussi une personne fort attachante, qui m'a dit qu'elle aimait bien marathoninfo, et a accepté de répondre à nos questions quelques jours après son formidable marathon de Paris. Merci pour votre simplicité Mlle Raux, ne changez pas et continuez à nous faire rêver par vos exploits. Le point avec elle et retour sur sa course de dimanche avant de la retrouver dans quelques mois du côté d'Athènes. Nous serons derrière elle bien entendu!! 

D'abord, comment avez-vous récupéré 4 jours après le marathon de Paris?

Je suis en pleine récupération aux thermes marins de St Malo, je passe la partie immédiate après le marathon ici. Je récupère et je commence à réaliser la performance que j'ai faite, je me dis que c'est quand même de la folie d'avoir fait ce temps là. Sinon pendant trois jours je n'ai rien fait au niveau entraînement, je n'ai pas couru 1km et je suis aux soins de thalasso pour optimiser ma préparation, l'accélérer et qu'elle dure moins longtemps. Après l'épreuve relâchement total (rires). le lendemain de la course j'étais encore à 100 à l'heure, j'avais l'impression d'avoir pris le départ du marathon et que j'étais toujours pas arrivée!!

D'autant  plus que mentalement les jours qui ont précédé la course ont du être difficiles, vous aviez un peu la pression je suppose.

Ben c'est à dire que la semaine qui précède, la préparation est terminée, il faut faire du jus. Après au niveau mental, bon je me dis que la préparation est là et je n'ai pas un tempérament à stresser ou à paniquer. J'aborde bien les compétitions en règle générale. Donc en fait la semaine qui a précédé ça c'est bien passé, je me suis occupé mais sans faire trop d'entraînement, je suis allée sur le parcours et je suis allée au salon expo mais bon pas plus de pression que ça, c'est mon tempérament d'être comme ça. Je suis confiante, la préparation est là, c'est pas maintenant que je vais me poser des questions pour savoir si je vais y arriver où quoi. Y'a rien à perdre et tout à gagner, alors je partais vraiment confiante comme au Mt St Michel d'ailleurs où j'avais jamais fait de marathon de ma vie, on m'avait annoncée favorite mais j'y suis allée sans me poser de questions, ça s'était bien passé aussi. Dimanche le temps était meilleur, j'ai couru avec Dominique Chauvelier, je lui ai fait confiance sur les allures. On partait sur 2h30, et je n'ai jamais regardé mon chrono de la course, je l'ai mis au départ puis je l'ai pas regardé ensuite.

Vous aviez une confiance totale dans le rythme qu'il menait..

Oui, il m'indiquait l'allure qu'on avait chaque kilomètre, 3'30, 3'31, 3'29. Alors du coup j'ai pas regardé mon chrono, quand je l'ai regardé c'était une demie heure après la course et il tournait toujours.

Vous vous êtes intéressé à la place au classement ou seul le chrono comptait?

Ben avant tout c'était le chrono, car les deux filles qui étaient devant, l'éthiopienne (Gigi) et la kenyane (kosgei)  on les a jamais vu en fait, et moi avant tout mon but était d'assurer la qualif. Même si j'avais pu faire 2h28' je préférais pas partir sur ces bases là et finir ensuite en 2h32'10" parce que j'étais parti trop vite. Donc on a préféré assurer en partant sur 2h30, ce qui était suffisamment rapide car c'est pareil, je n'avais pas l'assurance de pouvoir tenir non plus, d'autant plus que je n'ai pas suffisamment d'expérience sur marathon vu que j'en avais fait un seul. Finalement de kilomètre en kilomètre on était en avance sur les temps prévus, mais ça allait bien alors on s'est maintenu sur cette allure là, et sachant qu'à Paris le premier semi est plus facile que le deuxième, avec vent de face en plus, je me disais que c'était pas plus mal d'avoir un peu d'avance. Je passe en 1h14'22" au semi, et finalement j'ai pas trop perdu au deuxième.

Avez-vous connu des moments un peu pénibles dans la course?

Non en gros ça c'est bien passé, bon bien sur je sentais la fatigue s'accumuler dans les jambes, rien de plus normal, mais je n'ai pas eu de moment où je me suis dit "je vais jamais y arriver, ça va être dur, j'avance plus". Non j'ai pas connu de coup dur comme ça, c'est ce qui a été bien aussi.

A quel moment avez-vous compris que c'était bon pour le chrono?

Dominique m'a accompagné jusqu'au 32ième km et là on avait toujours de l'avance, et moi je sentais bien que ça allait toujours, il m'a dit que c'était bon, même si je craquais un peu je devais faire les minimas, il aurait fallu que j'explose mais comme ça allait au niveau physique y'avait pas trop de raison que j'explose à ce point là. A ce moment là j'étais encore avec deux féminines, à partir de là j'ai plus pensé au temps et je me suis dit que je devais me bagarrer pour la troisième place. Au 36ième km la première russe a lâché et la suivante (la russe Zyusko) je ne l'ai lâchée qu'au 40ième km. Après le ravitaillement je me suis dit: "il reste 2 km, il faut tout donner", j'ai réussi à faire un trou, les spectateurs me disaient y'a trente, quarante mètres. Je me suis dit qu'elle allait plus revenir et j'ai fait le maximum pour gagner quelques secondes de plus et là c'était le bonheur, arriver troisième, la qualif, le podium, un super temps: le bilan était complet.

Après cet exploit avez-vous trouvé du changement, vous avez du être sollicité au niveau des médias?

Oui c'est pour ça que je disais le lundi je le vivais encore à cent à l'heure, le téléphone n'arrêtait pas de sonner, la presse appelait, la télévision, les amis, la famille, tout le monde m'appelait pour me féliciter, et c'est sympa de sentir qu'il y a des gens qui sont derrière. Depuis l'été dernier je disais que j'allais faire Paris, je parle depuis longtemps de cette échéance, y'a eu toute la préparation, beaucoup de gens attendaient de voir et finalement c'est sympa pour tout le monde, moi je suis heureuse et les gens aussi sont content de m'avoir suivi pendant ma préparation et de voir le résultat au bout.

Et puis maintenant on va vous suivre pour les JO

Ben voilà ce sera une étape supplémentaire, les gens me demandaient ce que j'allais faire après. Je répondais toujours que mon objectif c'était Paris le 04 avril, et je ne voulais rien fixer pour après car c'était le 04 avril l'objectif et je voulais pas prévoir trente six choses à la fois, l'objectif était suffisamment important pour le cibler et ne pas penser à autre chose.

Si l'objectif était de faire 2h32, est-ce qu'au fond de vous vous  sentiez capable de passer sous les 2h30 déjà?

C'est pas évident, comme j'avais fait un seul marathon il était difficile de tirer des conclusions, mais je me disais que la préparation s'était bien passée, donc avec Dominique on s'est dit que si on partait sur 2h30 ça devrait passer mais bon c'est jamais fait d'avance. Déjà 2h30 je trouvais ça impressionnant même si mes 2h37 au Mt St Michel ont été faites dans des conditions difficiles il y avait 7 min ce qui est énorme; je vais vous dire même moi ça m'impressionne. On m'aurait dit y'a trois ans que j'allais faire moins de 2h30 j'aurai eu du mal à le croire car ça me paraissait un chrono de folie. Avant j'avais un bon potentiel mais je faisais un peu de tout, de la montagne, du biathlon, sans entraînement structuré et depuis un an que Dominique m'a préparé pour le Mt St Michel où j'ai préparé vraiment la course à pied, j'ai vraiment fait un bond en course à pied. Avec un entraînement plus structuré, adapté, sans faire d'écart à côté sur d'autres disciplines, je me dis aussi que c'est le travail d'un an qui paye.

Pour gagner 8 minutes par rapport à votre temps du Mt St Michel, vous avez changé de mode d'entraînement?

Pour le Mt st Michel j'avais fait une préparation spécifique, là on a repris une préparation identique mais il y avait tout l'acquis du premier marathon, on ne travaille plus sur les mêmes bases, on a un potentiel qui est déjà supérieur et donc on améliore encore ce potentiel là. C'est pour ça que je me dis qu'à la rigueur je peux encore progresser. L'allure que j'avais à Paris est bien passée donc je pense encore avoir une marge de progression, mais laquelle je n'en sais rien, c'est ça le mystère. Mais c'est intéressant car ça motive pour repartir. Je pense pouvoir grappiller encore un peu de temps, le parcours de Paris n'est pas réputé comme étant le plus roulant, il y a des marathons plus plats comme Berlin par exemple où il est sans doute possible de gagner un peu de temps. Je me dis que après les JO mon objectif ultime sera peut-être de m'attaquer au record de France, même si il faut faire chaque chose en son temps.

C'est sur que vu le parcours des JO le record tombera pas à Athènes (rires)

Oui à Athènes ce sont les jeux olympiques, il fera chaud. C'est vrai que sur les olympiades il n'y a pas forcément des temps qui sont réalisés, ce sont souvent des courses tactiques. Mais bon je suis super contente d'aller à Athènes car faire le marathon en partant de Marathon et en arrivant à Athènes on ne peut pas rêver mieux, c'est la course mythique idéale. Bon ça tombe comme ça mais pour moi c'est vraiment le top. Et puis bon c'est un rêve de gosse, les JO on voit ça quand on est petit à la télé, et puis là je vais y aller donc c'est vraiment bien.

Pour en revenir à Dominique Chauvelier, qu'est-ce que le travail entrepris avec lui vous a amené?

Je suis allée à endurance fin 2002, il a commencé à m'entraîner en gros trois mois avant la préparation du Mt St Michel. C'est moi qui lui ai demandé car avant je m'entraînais toute seule, ce n'était pas trop structuré, mais j'avais décidé de me donner à fond pour la course à pied et j'étais motivée pour ça, je voulais mettre tous les atouts de mon côté, faire des préparations idéales c'est pour ça que je suis allée vers son club qui est un club essentiellement de coureurs sur route. Dominique est un spécialiste du marathon qui a quand même de sacrés références, en France au niveau performances sur marathon et longévité dans la carrière il n'y en a pas trente six, donc j'ai pensé que ce serait une bonne chose pour moi de lui demander de m'entraîner. Et donc ça se passe bien avec lui, j'ai bien progressé, et il y a des résultats, donc tout va bien.

Et qu'est-ce qui vous a amené vers le marathon alors qu'au départ vous étiez plutôt branchée course de montagne ou duathlon?

C'est à dire que mon sport d'origine c'est quand même la course à pied puisque quand j'étais dans les petites catégories je faisais du 800m ou du cross, j'ai arrêté trois ans le temps de faire mes études de kiné à Berck Sur mer, j'ai obtenu mon DEA de Kiné, j'ai commencé à travailler et à reprendre le sport en parallèle, d'abord par des raids nature où j'accompagnais mon frère et c'est comme ça que je me suis repris au jeu du sport car pendant mes études de kiné je ne faisais plus rien du tout, je faisais un footing tous les quinze jours histoire de faire quelque chose mais ça allait pas plus loin. Je me suis alors repris au jeu de retrouver une condition physique, m'entraîner un peu plus et c'est revenu comme ça. j'aimais bien le VTT sur les raids, la course à pied était mon sport d'origine et donc je me suis mis au duathlon en 2000, j'ai vite intégré l'équipe de France, en 2002 j'obtiens mon titre de championne du monde de duathlon aux USA, en parallèle je m'étais entraînée plus à pied, j'avais fait aussi de la montagne où j'avais obtenu le titre de championne de France, j'avais de bons résultats un peu partout, je progressais bien à pied mais je voulais encore progresser. J'ai commencé par faire des 10 km et des semis pour arriver enfin sur marathon l'année dernière.

Maintenant c'est donc tout pour le marathon.

Oui le duathlon j'ai mis ça un peu de côté, et puis maintenant que je suis qualifiée pour Athènes, maintenant je ne vais plus de nouveau m'éparpiller mais bien me concentrer sur une discipline qui me plait et où j'obtiens des résultats. De plus le marathon est une discipline olympique contrairement au duathlon qui ne l'est pas encore, il y a moins de pratiquants, c'est vrai que le marathon touche tout le monde, c'est plus populaire. Avec la course à pied tout le monde peut prendre une paire de chaussures et courir. Et puis ça va être grandiose d'aller sur le parcours mythique du marathon, j'ai des frissons rien que d'y penser.

Justement avez-vous déjà planifié votre programme en vue des JO?

Non justement car comme je disais mon programme pour l'instant c'était le 04 avril, et puis depuis trois jours je récupère et je n'ai pensé à rien d'autre, chaque chose en son temps je récupère et après il sera temps de penser à la préparation pour les JO. Il faut respecter les étapes.

Avez-vous des modèles de marathoniennes?

Ben bien sur il y a Paula Radcliffe qui m'a toujours impressionnée vu ses performances, c'est une sacré référence, oui c'est quand même impressionnant les temps qu'elle réalise.

Vous avez complètement arrêté votre métier de Kiné, je suppose qu'il ne doit pas être évident de vivre de la course à pied?

J'ai  arrêté de travailler car je voulais m'entraîner de plus en plus pour progresser, donc je travaillais de moins en moins car je ne faisais que des remplacements ou des saisons, en 2002 j'ai décidé de carrément arrêter de travailler pour me consacrer entièrement au sport. A partir de ce moment là je suis revenu habiter chez mes parents car je n'avais plus de salaire, j'y suis toujours car ce n'est pas évident, j'ai mon sponsor équipementier adidas qui me soutien, un industriel Jean Brient qui me soutien aussi au niveau local, les thermes marins m'apportent aussi un plus dans la préparation mais ce ne sont pas des revenus mensuels qui tombent. Et les marathons j'en fait un par an, donc c'est pas toutes les semaines non plus.. J''espère que là maintenant mes efforts vont déboucher sur quelque chose, je me dis qu'il faut se donner les moyens pour le faire, c'est ma passion, c'est maintenant ou jamais pour le faire, même si c'est un peu galère au départ j'ai espoir pour que ça débouche sur quelque chose, mais au moins j'aurais essayé et mis toutes les chances de mon côté. C'est vrai que comparé à d'autres françaises j'ai commencé le marathon assez jeune mais je me suis dit que les longues distances ça me faisait pas peur, j'ai fait la 6000D ou des raids d'une semaine et comparativement le marathon c'est finalement pas trop long, j'ai 27 ans et je me suis dit que je pouvais commencer maintenant.

Dernière question, le sondage actuel sur le site pose la question de savoir ce que pensent les marathoniens des courses où l'élite féminine part avant les hommes, que pensez-vous de ce genre d'initiative?

C'est délicat, je vois l'année dernière ça a posé un problème car des femmes avaient couru derrière avec des hommes et avaient fait de meilleurs temps que des femmes qui étaient parties à part et qui se retrouvaient toutes seules pendant la course. Je ne sais pas trop quoi penser sur ce sujet, là par exemple à Paris Dominique était avec moi et m'a servi de lièvre et avec les hommes on est plus portés par la foule. De plus en partant à part, on n'a pas autant de densité que chez les hommes donc on se retrouve un peu au compte goutte sur le parcours, et sur les marathons on a pas l'impression d'être dans une course si on se retrouve toutes seules. Et puis je me souviens que l'année dernière où Paris avait fait deux course séparées, on ne voyait pas pour autant plus les françaises à la télé, donc dans un sens ça peut être bien mais si ensuite la télé en tient pas trop compte... enfin c'est pas facile, je ne sais pas quelle est la meilleure solution.

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