amsterdam 1928

1928: Amsterdam: El Ouafi, un vainqueur français trop vite oublié.

DATE VAINQUEUR AGE PARTANTS ABANDONS
dimanche 5 août à 15h14 Ahmed El Ouafi (France) 28 ans 69 pour 23 pays 12 (17,39%)
Pour ces olympiades d'Amsterdam, le climat est à l'apaisement, les tensions nées de la première guerre mondiale sont retombées, et c'est donc dans un climat serein que le marathon va avoir lieu.  Parmi les favoris de cette épreuve, il y a les japonais de plus en plus présents, les Finlandais bien entendu qui par tradition font toujours parti des favoris, et chose plus originale, un sud américain nommé Plaza. Le chilien garde l'auréole d'un coureur exceptionnel qui donna la vraie mesure de leurs capacités pour les coureurs de ce continent. A l'époque de sa plus grande gloire, il était imbattable chez eux, participant à sept championnats sud-américains, il remporta dix-neuf médailles d'or, performance qui n'a jamais été égalée, c'est dire la qualité de ce coureur. On pourrait aussi citer parmi les coureurs d'exception les deux mexicains, deux indiens Tarahumaras évangélisés par les jésuites, 32ième et 35ième à l'arrivée et que l'on dut arrêter une fois la ligne franchie alors qu'ils protestaient en criant "trop court, trop court!!", ce qui ne manquait pas de sel à une époque où les 42,195km d'un marathon étaient encore considérés officiellement comme l'extrême limite de l'effort athlétique. En effet cette tribu allait devenir mythique de par leur prodigieuse aptitude à la course à pied, vivants à 2400 mètres d'altitude, les conquérants espagnols en avaient déjà fait d'infatigables messagers capables de parcourir d'un trait 270 km pour transmettre une missive. Un jour, un jogger américain très bien entraîné eut la surprise de se voir doubler par un Tarahumara ne manifestant aucun effort apparent. Il sprinta pour le rejoindre, lui demanda l'autorisation de prendre son pouls et compara avec le sien: ils battaient respectivement à 70 et 170!! Capables de courir pendant des jours à 12 ou 13km/h, ils n'avaient pas pu soutenir le rythme du vainqueur pendant deux heures et demie. Et puis courir sur une route toute plate, sans la boule qu'ils avaient coutume de projeter devant eux avec le pied ou en s'aidant d'un bâton lors de leurs fêtes ancestrales, tenter enfin de devancer d'autres concurrents sur une ligne d'arrivée, tout cela n'avait pas de grande signification pour eux.

Tracé au sud de la ville, le tracé du marathon était parfaitement plat bien entendu, c'était une sorte de ruban qui serpentait le long du cours d'eau Amstel et de ses digues, et se terminait aux deux extrémités par une boucle.  Le jour du départ couru sous une température clémente, ils sont 69 à se présenter, ils ne pouvaient alors pas être plus de quatre par équipe nationale. Les français quand à eux ne font pas parti des favoris, on ne leur donne même aucune chance, ainsi Marcel Denis, Jean Gérault, Guillaume Tell (eh oui) et Abdel Baghinel El Ouafi n'ont visiblement pas beaucoup de chance de l'emporter. Découvert en Algérie où il est né en 1898, alors qu'il effectue son service militaire au 25ième régiment des tirailleurs , et installé depuis 5 ans en métropole. Son goût pour les épreuves sportives et ses résultats en cross ont amené son supérieur, le lieutenant Vaquier, à l'envoyer à Paris en 1923 à 24 ans pour y défendre les couleurs de son régiment dans une compétition militaire. Son bon caractère et sa gentillesse le font rapidement apprécier de ses camarades. Ses résultats lui permettent de participer aux épreuves de sélection pour les JO de Paris. Au marathon il réussit une belle course terminant 7ièms en 2h54'19", à moins de 13 minutes du vainqueur, le Finlandais Stenroos. Licencié au CASG puis au club Olympique de Billancourt, il court pour son club, avec des fortunes diverses,  et se consacre à son métier de décolleteur aux usines Renault. D'une grande discrétion, El Ouafi se prépare en 1928 pour les jeux d'Amsterdam sous la direction de Louis Corlet. Le 8 juillet il dispute la classique Paris-Melun qu'il remporte haut la main, le voilà de nouveau sélectionné pour les JO, cette fois sous les couleurs françaises.

La course. 

très rapidement c'est le japonais Yamada, grand animateur de la course, qui va prendre la tête d'un petit groupe qui se détache. El Ouafi, en compagnie de Tell, suivra un moment ce groupe, avant de se faire décramponner, choisissant une course plus sage et n'étant pas capable de suivre le rythme imposé. El Ouafi avec sa foulée courte est surtout un grand endurant et il n'a pas supporté ce départ rapide. Au 10ième km il est 20ième avec 2'30" de retard sur les premiers. Mais devant 6 hommes se détachent, on y trouve les japonais Yamada et Ishida, les Finlandais Martellin et Laaksonen, l'américain Joe Ray et le canadien Bricker. L'entente ne règne pas, et c'est ce qui va perdre ce groupe. Yamada notamment a des fourmis dans les jambes, il se méfie de son compatriote, au 25ième km, il décide d'attaquer d'une petite foulée puissante et rasante. Les prétendants au titre s'accrochent, tentent de conserver Yamada en point de mire, puis s'éssoufflent. Yamada lui même commence à accuser le coup. Alors, El Ouafi, serein, remonte avec une belle régularité tous ces coureurs présomptueux, épuisés, incapables de réagir quand le français les passe.

Au 32ième km, continuant sur sa lancée à la même cadence, El Ouafi est troisième, mais Ray et Yamada qui se trouvent devant lui faiblissent à leur tour. A 5500m de l'arrivée, l'américain est à sa hauteur, il le lâche irrémédiablement, puis 300m plus loin il double le japonais qui lui lance un regard de détresse mais ne peut réagir. Au stade olympique, Alfred Spitzer, l'entraîneur français de demi fond, demande au perchiste Robert Vintouski d'aller aux nouvelles en joignant le dernier ravitaillement. Il "emprunte" la première bicyclette abandonnée par son propriétaire et file vers le dernier poste de rafraîchissement à 5km de l'arrivée, et là il n'en croit pas ses yeux de voir El Ouafi seul en tête. S'approchant de la table où sont disposés les verres, il serre rapidement la main du coureur pour lui donner quelques pastilles Vichy qu'El Ouafi avale avec de l'eau. " Vas-y et merde!!" lui crie-t-il!! car la partie n'est pas encore gagnée, en effet il ne faut pas oublier le Chilien Plazza qui lui aussi vient de faire une fantastique remontée et revient à quelques mètres du français. Mais son effort a été trop violent et dans les 1500 derniers mètres El Ouafi se détache et file vers la victoire, il traversera la ligne d'arrivée avec 26" d'avance sur le chilien. Le Finlandais Martellin sera troisième avec 2' et 5" de retard, connaissant sa première défaite en 5 marathons.

El Ouafi sombre dans la misère.

El Ouafi est champion olympique de marathon, cet ouvrier a du mal à le croire, malgré sa discrétion il sort malgré lui de l'ombre où il va malheureusement vite retourner comme nous allons le voir. Aux vestiaires, il appelle son ami Robert Vintouski et, avec simplicité, lui offre sans un mot son maillot frappé du coq.

Après sa victoire, une tournée de six mois aux Etats-Unis lui rapporte un peu d'argent: "je ne sais pas si vous vous rendez compte ce que ça représentait pour moi, un manoeuvre des usines Renault, d'aller en Amérique! c'est beau vous savez l'Amérique! les gens étaient très gentils avec moi: je battais leurs champions, ils me demandaient des autographes" s'émerveillait-il. Quand il revint des Etats-unis, il avait 20000 francs en poche, c'était peu mais assez pour faire de lui un coureur professionnel, on le disqualifia donc: "vous vous êtes rejetés hors de la communauté sportive" s'entendra-t-il dire au comité olympique français.Ses malheurs ne faisaient cependant que commencer, ayant acheté en copopriété un petit café du côté de la gare d'Austerlitz, il se laissa dépouiller de son maigre bien par son associé. trop gentil, trop crédule, El Ouafi!! un mouton bon pour des tontes répétées qui n'eut bientôt plus le moindre sou, ni le moindre travail. Alors commença un autre voyage marqué par les étapes de la déchéance: d'ouvrier spécialisé, il devint manoeuvre, puis chômeur et enfin clochard.

Le triomphe d'Alain Mimoun à Melbourne en 1956 le fit enfin sortir de l'ombre. La France sportive découvrit alors avec un vague sentiment de culpabilité un vieux monsieur de 57 ans, chauve, édenté, bouffi et les mains boursouflées, qui quêtait sa pitance dans l'écuelle d'une belle soeur charitable.  Transformé en épave et en poivrot, il avait cessé de sourire. Malade, donné pour mort deux mois plus tôt, il n'en finissait pas de ressasser les souvenirs hachés de sa victoire olympique: " ça ne fait rien si les français ne pensent plus à moi...je les aime....je sais que j'ai fait quelque chose d'utile en remportant ce marathon.... Je ne veux pas que mes voisins me voient mal habillé et fauché.... Cela ne ferait pas bien pour un champion olympique..... Je ne sais pas ce que je vais devenir....Je n'ai pas un sou de côté... J'aurais sans doute du mal à mourir proprement."

Une courte lettre de l'athlétisme français où on proposait à El Ouafi de le "dépanner momentanément" vint le sortir de cette longue amnésie. Mimoun quand à lui à son retour de Melbourne fut plus prompt à réagir, bénéficiant d'une souscription lancée par le journal "l'équipe", il pria à son retour de remettre 50000 francs à El Ouafi. "je veux exprimer à mon tour ma reconnaissance à un ancien grand champion, malheureusement dans le besoin aujourd'hui". Malgré cela, il meurt le 18 octobre 1959, dans la misère, à la suite d'une fusillade du FLN dans un café de st Denis. Fier d'être un ancien militaire français, il n'avait pas voulu cotiser et participer à la propagande révolutionnaire des fellaghas à Paris.

CLASSEMENT GENERAL
PLACE NOM PRENOM NATIONALITE TEMPS
1 El Ouafi Ahmed France 2:32:57
2 Plaza Manuel Chili 2:33:23
3 Martellin Martti Finlande 2:35:02
4 Yamada Kanematsu Japon 2:35:29
5 Ray Joie Etats-Unis 2:36:04
6 Tsuda Seiichiro Japon 2:36:20
7 Korholin-Koski Yrjo Finlande 2:36:40
8 Ferris Sam Grande-Bretagne 2:37:41
9 Michelsen Albert Etats-unis 2:38:56
10 Bricker Cliff Canada 2:39:24
11 Wood Harold Grande-Bretagne 2:41:15
12 Laaksonen Verner Finlande 2:41:35
13 Payne Harry Grande-Bretagne 2:42:39
14 Rastas Eino Finlande 2:43:08
15 Sipila Vaino Finlande 2:43:08
16 Krof Alois Tchécoslovaquie 2:43:18
17 Miles John Canada 2:43:32
18 Broers Léon Belgique 2:44:37
19 Stelges Hans Allemagne 2:45:27
20 Mc Leod Duncan Grande-Bretagne 2:45:30
21 Bignall Herbert Grande-Bretagne 2:45:44
22 Harper Ernest Grande-Bretagne 2:45:44
23 Gérault Jean France 2:46:08
24 Kuokka Ilmari Finlande 2:46:34
25 Kinn Gustav Suède 2:47:35
26 McLennan Silas Canada 2:49:33
27 de Mar Clarence Etats-Unis 2:50:42
28 Denis Marcel France 2:51:15
29 Tell Guillaume France 2:51:18
30 Landheer Hannes Pays-Bas 2:51:59
31 Hempel Paul Allemagne 2:52:01
32 Terrazas Aurelio Mexique 2:52:22
33 Zyka Frantisek Tchécoslovaquie 2:52:42
34 Ferrera Giuseppe Italie 2:53:10
35 Torres Juan Mexique 2:54:00
36 Stoa johan Norvège 2:54:15
37 Steurs Gerardus Belgique 2:54:48
38 Mottmillers Arturs Lituanie 2:56:45
39 Henigan James Etats-Unis 2:56:50
40 Steyler Marthinus Afrique du sud 2:57:21
41 Frick Harvey Etats-Unis 2:57:24
42 Linsen Jean Belgique 2:58:08
43 Hughues Franck Canada 2:58:12
44 Agee William Etats-Unis 2:58:50
45 Wyer Percy Canada 2:58:52
46 hoerger Georg Allemagne 2:59:01
47 Schneider Hans Allemagne 2:59:36
48 Nagatani Juichi Japon 3:03:34
49 Galambos Jozseph Hongrie 3:05:58
50 Gerhardt Paul Allemagne 3:09:30
51 Bach Gottlieb Danemark 3:10:30
52 Ferrer Emilio Espagne 3:11:05
53 Stefanovic Dimitrije Yougoslavie 3:11:35
54 Vermeulen Jan Pays-bas 3:13:47
55 Van Leenen Pleun Pays-Bas 3:14:37
56 Marien Jean Belgique 3:16:13
57 Van Der Streen Wim Pays-Bas 3:19:53

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