Autre favoris, le britannique
Ernest Harper âgé de 34 ans, le sud africain Jahannes Coleman et un
japonais au nom de Kitei Son qui avait été chronométré à Tokyo en
2h26'42", performance enregistrée par la fédération
internationale. En vérité ce Japonais était un coréen, de son vrai nom
Kee Chung-Sohn, qui plus est nationaliste farouche depuis sa plus tendre
enfance. Il prétendait s'être entraîné en transportant du sable dans
son pantalon et en courant avec un sac de cailloux attaché sur le dos.
Son pays, qui ne devait retrouver l'indépendance qu'en 1943, avait été
annexé par le Japon en 1910, et la seule façon, pour lui, de participer
à des épreuves internationales était de porter sur son maillot ce
soleil rouge qu'il abhorrait.
Les Français quand à eux sont au nombre de
trois, Khaled Nouba sera 12ième, Emile Duval 16ième et Fernand
Leheurteur 31ième, mais ne joueront aucun rôle dans cette course, leur
entraîneur, un certain Desauges, avait confectionné pour chacun d'entre
eux un bracelet de toile sur lequel il avait inscrit des temps de passage
à respecter, et par précaution supplémentaire il avait posté à chaque
contrôle un de ses subordonnés afin de donner des indications à nos
représentants. Manque de chance, cette tactique s'est révélée trop
prudente et Khaled notamment, qui aurait certainement pu mieux faire tant
ses limites de son endurance étaient peu connues, avait dépassé sur la
fin un nombre insuffisant d'adversaires. Il faut dire aussi que le
Rouennais Leheurteur souffrait d'un abcès dentaire depuis huit jours et
que l'on avait différé l'extraction de sa dent douloureuse par crainte
de complications, et le recordman de France des 20km Emile Duval était
affligé d'un furoncle mal placé et d'une réputation de soiffard.
Dès le départ de la course c'est Zabala
très motivé et sûr de lui qui prend la tête. , et dès le quatrième
kilomètre, les chronomètres lui accordèrent trente secondes d'avance
sur le Portugais Dias qui avait commis l'impardonnable erreur de porter
des chaussures neuves. Le Japonais Son est alors en compagnie du
britannique Harper, pointés à 2'40" de Zabala au dixième km ils ne
vont pas se quitter pendant une bonne partie de la course. Zabala a
décidé de courir en moins de 2h30 pour battre son propre record
olympique et met tout en oeuvre pour y parvenir, à la mi-course en
1h11'29" son avance a malgré tout commencé à fondre ce qui va le
réveiller et lui permettre de relancer encore la machine pendant quelques
kilomètres mais Son et harper ne sont plus qu'à une cinquantaine de
secondes, le plus à l'aise étant le japono-coréen alors que le
britannique semble souffrir mille morts pour suivre courageusement sa
foulée. Derrière les Finlandais font leur tactique d'équipe avec le
second japonais nommé Nan (lui aussi coréen par ailleurs); les
finlandais pour déstabiliser le japonais appliquent leur fameuse tactique
consistant à se relayer tour à tour en tête en accélérant le rythme,
mais à leur grande surprise le japonais ne semble pas plus déstabilisé
que ça, ce qui va avoir pour effet de les décontenancer quelque
peu.
Devant Son accélère au prix d'un effort
douloureux, accélérant la cadence de sa foulée. Pour cet ascète ayant
coutume d'affirmer la prééminence du coeur et de l'esprit sur le corps,
il ne pouvait être question d'écouter la plainte de ses muscles. Harper
s'accroche et Zabala finit par être rejoint, stupéfait et soudain raidi,
qui venait de trébucher et s'accrocha sur une centaine de mètres à
peine avant de capituler, moralement et physiquement détruit. Il fera
encore trois kilomètres avant d'abandonner au 32ième km, pour la
troisième fois de sa carrière à l'occasion de son cinquième et dernier
marathon.
Devant Harper aussi finit par craquer et
l'avance du japonais ne cessera de croître pour être de 2' au moment de
l'entrée sur le stade, il termine l'épreuve en 2h29'19", premier
homme à passer la barre des 2h30 aux JO. Échappant à ceux qui voulaient
lui prêter assistance, le visage toujours fermé, il alla ensuite
s'asseoir pour retirer ses chaussures, puis il partit en trottinant en
direction des douches. Il ne verra donc pas arriver son poursuivant Harper
qui avait repoussé l'attaque de Nan dans le tunnel pour finir second à
bout de forces et s'effondrer sur la ligne au bout de son courage. Aucun
de ceux qui étaient passés dans les dix premiers au cinquième
kilomètre ne termina dans les vingt premiers.
Sur le podium des récompenses, alors que
résonne l'hymne japonais deux hommes baissent la tête, les coréens Son
et Nan vainqueur et troisième de la course. Le lendemain le quotidien de
Séoul "Dong a Ilbo" titra: "victoire coréenne à
Berlin". Il publia aussi la photo de Son sur le podium, le front
incliné ceint d'une couronne de lauriers, mais sans le petit drapeau
japonais, qui avait été effacé sur le haut de son survêtement. Cela
valu à dix responsables du journal d'être arrêtés et à la publication
d'être suspendue pendant neuf mois. Vainqueur de dix des treize marathons
qu'il avait courus jusque là, Son, refusant de porter une fois de plus
les couleurs du Japon, arrêta sa carrière après Berlin malgré son
jeune âge avant de participer, par la suite, à la lutte pour
l'indépendance de son pays et de devenir entraîneur de l'équipe
nationale coréenne. |