Malheureusement Rodgers ne
pourrait pas concrétiser son talent à Moscou, comme les Japonais qui
avaient aussi toutes leurs chances avec les frères Soh ou Toshihiko Seko.
Voilà déjà de sérieux adversaires en moins pour Cierpinski qui n'a pas
vraiment concrétisé sa victoire de Montréal. Les Africains quand à eux
étaient bien présents mais ils traversaient à cette époque un creux
étonnant, vu qu'aucun d'entre eux ne figurait dans les 50 meilleurs
performers mondiaux de l'année avant les JO c'est pour dire!!
Le parcours des JO de Moscou était plat, mais
la difficulté était dans la chaleur lourde qui avait pesé sur les jeux
et avait heureusement un peu chuté au moment du marathon, restant
néanmoins à 26°, avec un taux d'humidité de 40%.
Parmi les principaux candidats à la victoire,
outre Cierpinski, on comptait beaucoup sur les russes pour animer la
course sur leurs terres, la français Charbonnier était à créditer d'un
bon temps en 2h12'18", alors meilleure performance française de tous
les temps. Fraîchement diplômé de sciences-Po, celui-ci s'était
également demandé s'il convenait d'aller courir à Moscou. Excédé par
tous ceux qui se mêlaient de donner leur avis péremptoires sans trop se
soucier du point de vue du sportif, il avait apporté sa réponse dans un
brillant article publié dans le journal "le Monde" sous le
titre "y aller".Autres favoris, le néerlandais Nijboer ou le
Finlandais Viren, doublement couronné sur 5000m et 10000m en 1972 et
1976.
La chaleur va vite faire perdre pied aux
représentants britanniques, les trois étant hors du coup, de même que
pour l'éthiopien Balcha Kebede que l'on va retrouver gisant dans un
fossé, bras en croix et yeux révulsés. Au vingtième kilomètre, ils
sont encore 22 dans un peloton à passer en 1h03'42" Au 24ième
kilomètre, Viren est victime de maux d'estomac et doit aller dans un
fossé pour se soulager. C'est le moment que choisit le Mexicain Rodolfo
Gomez pour placer une violente attaque qui le porte en tête au 25ième km
en 1h17'55". A l'arrière, pendant que Cierpinski absorbait posément
les à-coups, Charbonnier vit Viren tituber d'un bord à l'autre de la
route, avant d'abandonner lui-même, le regard trouble, au 28ième km. Sur
le chemin du retour, dans la troisième fraction de 10km, la
réverbération du soleil sur la Moskova ajoutait au malaise des
concurrents jusqu'à la nausée. Ce fut là que se produisirent quatorze
des vingt et un abandons soit le plus fort pourcentage de renoncements
depuis les JO de Los Angeles en 1932.
Dans le sillage de Gomez est parti le
néerlandais Nijboer, à l'époque détenteur de la meilleure performance
européenne lors de sa victoire à Amsterdam en 2h09'01". (il
deviendra champion d'Europe à Athènes en 1982). Au trentième km Gomez
compte 23" d'avance sur un groupe de neuf hommes comprenant les
Russes Kotov, Dzhumanazarov et Moseiv, Nijboer, le Belge Lismont,
l'Italien Magnani, Nedi, Cierpinski et son compatriote Truppel. Au tente
septième kilomètre Gomez se fait doubler par Nijboer, puis ensuite
Cierpinski après une course d'attente prend pour la première fois la
tête. Cierpinski déclara après la course; " à 2km de l'arrivée,
je savais que j'avais course gagnée. Mais curieusement c'est à ce moment
là que j'ai commencé à avoir peur, et la fin me fut particulièrement
pénible". Il l'emporte finalement en 2h11'03", mais cette
seconde victoire suscita de la réserve car il n'avait pas l'aura d'un
Bikila et il n'avait pas fait d'étincelles entre Montréal et Moscou. A
fukuoka, où étaient cotées scrupuleusement chaque fin d'année les
valeurs internationales, il s'était classé troisième en 2h14'56",
quatre mois après son triomphe canadien. Il avait ensuite fini 32ième en
2:22:49 en 1978 à cause de crampes et avait abandonné en 1979. Aux
championnats d'Europe de Prague, il avait fini quatrième en 2:12:50. La
chute du mur de Berlin en 1989 et les révélations qu'elle provoqua
devaient doucher définitivement tout sentiment admiratif. En 1980, il
finissait 6ième à Fukuoka, le vainqueur étant le japonais Seko, de quoi
donner des regrets de voir la politique avoir privé les sportifs d'un
formidable spectacle. Tout cela nuance le doublé de Cierpinski, même si
les chiffres têtus nous montre qu'il fait parti du club très fermé des
doubles vainqueurs olympiques. |